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En rentrant à Paris, il rapportait une vingtaine d’études faites le long de la chaîne des Alpes. Outre une Vue du Mont-Blanc, à laquelle il travailla toute sa vie, il avait entrepris de retracer une des scènes qui l’avaient le plus frappé et dont il avait été témoin, du balcon de la sous-préfecture, à Gex, où résidait un de ses amis. C’était la Descente des Vaches dans une haute vallée du Jura, œuvre d’un aspect un peu rude, mais pleine de force et de grandeur. Les animaux y occupaient une large place, et, bien que chacun d’eux ne fût pas dessiné avec une correction parfaite, le mouvement de ces troupeaux était, dans son ensemble, assez fidèlement rendu[1]. Le tableau, envoyé au Salon de 1836, avait été refusé par le jury. Mais Ary Scheffer, fort épris du talent de Rousseau, le lui avait acheté et l’exposait dans son atelier où de nombreux visiteurs, conviés par lui, étaient venus l’admirer.

L’artiste n’était pas seul alors à subir les rigueurs du jury : à ce même Salon de 1836, Paul Huet, Marilhat, Delacroix et bien d’autres encore avaient éprouvé le même sort. Pendant douze années consécutives, il devait être victime d’injustices pareilles. Mais il ne s’abandonnait pas au découragement, et loin de nuire à sa réputation, ces exclusions systématiques lui attiraient bien des sympathies. Il était désormais apprécié de ses confrères les plus en vue et, un certain jour, Delacroix avait amené George Sand dans son atelier pour y voir ses études. Le travail d’ailleurs procurait à Rousseau les satisfactions qu’il goûtait par-dessus tout. Attiré de nouveau par la forêt de Fontainebleau, vers la fin de l’automne, il avait appris à la mieux connaître, à ce moment de l’année où à ses splendeurs s’ajoute le charme de son entière solitude. Installé cette fois à Barbison, chez le père Ganne, il y passait l’hiver de 1836-1837. Captivé par la sauvage beauté de cette saison, il dessinait et peignait courageusement en plein air, par tous les temps, les doigts roidis par le froid. Comme il le disait, « il voulait jouer sur le grand clavier et toucher à toutes les harmonies. »

À la suite de la mort de sa mère, qui l’avait profondément remué, il cédait aux sollicitations d’un de ses admirateurs,

  1. Cette toile, de dimensions assez grandes appartient à M. Mesdag, le célèbre peintre de marines et fait partie de la belle collection d’œuvres modernes qu’il vient de donner à la Hollande ; malheureusement, l’emploi immodéré du bitume a un peu noirci l’aspect et altéré la conservation de cet important ouvrage.