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Sèvres, dédaigneux de poursuivre, répugne à pratiquer des saisies chez les marchands. La manufacture royale de Saxe, plus commerciale, est moins débonnaire ; elle a gagné plusieurs procès contre ses contrefacteurs. Mais ceux-ci lui ont reproché, non sans fondement, de se contrefaire elle-même, lorsqu’elle fait revivre et appose ses anciennes marques, — telle que l’ « Augustus Rex » vénérée des collectionneurs, sur des pastiches du XVIIIe siècle récemment livrés par elle au public.

La seule pénalité appliquée jusqu’ici aux simulateurs de vieux Sèvres, de vieux Saxe, de vieux Berlin et de vieux Chine, a été l’exclusion de toute récompense aux dernières Expositions universelles. Il fut assez piquant de voir des objets porteurs de fausses marques, ostensiblement présentés en nombre assez important par leurs auteurs, qui sollicitaient une médaille à titre d’encouragement de leur supercherie avouée. Ces industriels affirmaient que leur clientèle exigeait cette tromperie par un pur sentiment de vanité. Le jury, tout en louant le mérite de ces pâtes tendres, n’a pu se résoudre à sanctionner l’incorrection de leur certificat d’origine.

Seulement, c’est de leur certificat d’origine que ces porcelaines tirent tout leur prix, aux yeux du plus grand nombre des acheteurs, incapables de distinguer la pâte tendre de la pâte dure. Et comment d’ailleurs le pourraient-ils ? La première se signale à l’œil exercé du céramiste par certaines qualités d’éclat et de coloris ; c’est un verre incomplet qui, par sa nature, se laisse décorer exclusivement avec des émaux alcalins, riches de tons, limpides et lumineux. Mais, une fois habillée au sortir du four et incorporée à sa « couverte » cristalline, elle ressemble tellement à la pâte dure que, pour connaître sûrement sa composition, il faut… la casser. On s’aperçoit alors qu’elle est plus grenue et moins résistante que la porcelaine de kaolin.

Pour le riche bourgeois du XXe siècle, la pâte tendre est le symbole d’une aristocratie abolie, dont il entrevoit à travers les tableaux et les Mémoires l’existence galante et dorée, et dont il a conscience de tenir le rang, puisqu’il boit, ou pourrait boire, dans les mêmes tasses qu’elle. Pour le gros public, la pâte tendre est quelque chose de légendaire et de mystérieux, qui ne se fait plus, même à Sèvres, parce que, « les procédés ont été perdus à la Révolution, » ou, disent d’aucuns, « parce que la mine est épuisée. » Pour le savant ou le manufacturier français