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II

C’est dire que nos marques sont partout recherchées et que la plus illustre, celle de Sèvres, est l’objet de falsifications si nombreuses et si adroites, qu’il ne reste vraiment aux amateurs prudens d’autre ressource, pour se défendre des tromperies, que d’exiger du marchand l’insertion sur sa facture de ce libellé : « L’achat de toute pièce, déclarée fausse à la manufacture, sera résilié. » Il est d’ailleurs, probable que peu de magasins accéderaient à cette clause redoutable ; car, à l’estime des techniciens compétens, parmi les Sèvres mis en vente, il s’en voit environ 95 pour 100 de faux, aussi bien en pâte tendre qu’en pâte moderne.

Les perfidies du truquage, révélées en des ouvrages spéciaux, sont jeux d’enfans pour les imitateurs, qui apposent les marques de toutes les époques et savent vieillir artificiellement leurs œuvres, sans recourir au craquelage, à la suie ou au mijotage dans le jus de fumier. Il est tels artistes parisiens, aussi loyaux qu’habiles, qui poinçonnent leurs reproductions d’une signature convenue pour éviter toute méprise. Mais leurs cliens ne sont pas si scrupuleux et les enchérisseurs naïfs, qui poussent aux grandes ventes de l’hôtel Drouot des objets présumés authentiques, seraient fort déconcertés, après le coup de marteau du commissaire-priseur, d’apprendre que ce petit S ou cet humble B, dissimulé dans quelque coin de leur vase du Barry, est l’initiale d’un porcelainier contemporain domicilié dans le voisinage des grands boulevards.

A côté de ces copies rares et si parfaites qu’elles ne sont pas indignes des originaux, exécutées comme elles sont par des peintres employés parfois à Sèvres même, il se fait de grossières décorations sur des pièces sorties naguère en blanc de la manufacture nationale. Pour y obvier, Sèvres ne vend plus de blanc depuis 1880 ; mais l’Assistance publique détient encore des milliers d’assiettes blanches, provenant des rebuts de Sèvres, qui lui avaient été données par l’Etat et qui coulent doucement dans le commerce. Les rebuts sont frappés, au sortir du four, par un trait de roue qui coupe en travers la marque usagère ; le faussaire comble ce trait infamant avec un peu d’émail qu’il passe au feu.