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question de M. Albert Decrais sur les motifs qui avaient amené en Allemagne une agitation des esprits dont la cause échappait ; et il s’efforçait, d’ailleurs avec succès, à la Chambre de faire ajourner par des explications préventives trois ou quatre interpellations venant des socialistes et des nationalistes, dont la plus importante était celle de M. Jaurès. M. Jaurès veut absolument que l’on cause avec l’Allemagne, et, en principe, il a raison. Au Sénat, M. le ministre des Affaires étrangères, sans faire une allusion directe à une puissance quelconque, a précisé une fois de plus le but de notre action au Maroc et a montré avec beaucoup de clarté et de force qu’aucune ne devait en prendre ombrage, puisque toutes étaient appelées à en bénéficier. A la Chambre, il est allé un peu plus loin. Voici la phrase la plus importante de ses brèves déclarations. Parlant des conseils et des explications qu’il adresse au Maghzen : « Ces explications, a-t-il dit, nous les donnerons doucement, en amis, patiemment aussi, comme il convient à des voisins qui n’ont nul besoin de rechercher une solution précipitée. Et nous continuerons notre tâche avec la tranquillité de gens qui ne lèsent en rien et ne méditent nullement de léser en rien les intérêts d’autrui ; qui, l’ayant dit à plusieurs reprises, n’éprouvent aucun embarras à le répéter, et qui sont prêts à dissiper tout malentendu si, en dépit de déclarations aussi formelles, il en pouvait subsister. » Qu’il en subsiste encore, on ne saurait en douter en présence des manifestations allemandes. S’ils ne sont d’aucun côté le résultat d’un parti pris, il sera facile de les dissiper. Néanmoins, un effort diplomatique est nécessaire pour cela : le langage parlementaire de M. Delcassé n’y suffit pas, quelque habile, mesuré et conciliant qu’il ait été. M. Jaurès a mis beaucoup d’emphase à déclarer qu’il donnait quelques jours de répit à M. le ministre des Affaires étrangères ; mais que, ce délai moral une fois écoulé, il reprendrait son interpellation s’il y avait lieu. Souhaitons qu’il n’y ait lieu de reprendre ni celle-là, ni aucune autre ; mais, dans l’état d’obscurité où sont les choses, nous ne pouvons qu’attendre les événemens.

On a apprécié en Europe, ou plutôt dans le monde entier, le sang-froid, la dignité, la réserve que la France a montrés dans cette circonstance. Pas un mot déplacé n’a été écrit dans les journaux, ni prononcé à la tribune, et peut-être avons-nous eu à cela quelque mérite, car la démarche de l’empereur Guillaume nous a surpris : nous étions très loin de nous y attendre, n’ayant rien fait pour la provoquer. Notre politique au Maroc se développait dans les conditions indiquées dès le début, avec l’adhésion formelle de quelques puissances et, — son