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4° un passage intercalé par Shakspeare, le 25 mars 1616, dans son dernier testament, et par lequel le poète lègue à sa femme, « non pas son meilleur lit, mais celui qui vient après, avec sa garniture ; » 5° enfin, dans l’église de Stratford, la plaque tombale « d’Anne, femme de William Shakespeare, qui a cessé de vivre le 6 août 1623, étant âgée de soixante-sept ans. »

Je n’ai pas besoin d’ajouter que chacun de ces cinq documens a donné lieu, pour sa part, à une quantité tout à fait innombrable de commentaires et de suppositions : mais, aussi bien, y prêtent-ils en effet, tous les cinq, et l’esprit même le moins imaginatif ne saurait s’empêcher d’en tirer, aussitôt, plusieurs conclusions assez surprenantes. Si Anne Shakspeare, en 1623, avait soixante-sept ans, c’est donc qu’elle en avait vingt-six en 1582, lorsqu’elle a épousé Shakspeare, qui, lui-même, n’en avait alors qu’à peine dix-huit. Si sa fille Suzanne est née en mai 1583, six mois après le mariage, c’est donc que, avant ce mariage, des relations intimes ont dû exister entre le jeune couple. Et si Shakspeare, dans un long et minutieux testament, qu’il atout rempli de legs à ses enfans, cousins, amis, etc., ne s’est rappelé qu’après coup l’existence de sa femme, et pour lui léguer le moins bon de ses deux grands lits, c’est donc qu’apparemment, à la fin de sa vie, sa femme ne devait pas lui tenir bien au cœur. Autre chose encore : s’il a eu besoin d’une licence pour se marier (et, d’abord, avec qui ? avec « Anne Whateley de Temple Grafton, » ou avec « Anne Hathway de Stratford ? ») et si le contrat n’a porté ni les noms de ses parens ni ceux des parens de sa fiancée, cela n’indique-t-il pas que le mariage a dû se faire dans des conditions anormales, précipitamment, clandestinement, à l’insu des deux familles ou tout au moins sans leur approbation ? Voilà, semble-t-il, toute une série de faits ou certains, ou probables, se rapportant au mariage du poète et à ses conséquences : des faits qui, à coup sûr, ne confirment pas les romans fantaisistes qu’on a bâtis sur eux, mais qui peuvent servir, en quelque mesure, à les justifier ! Voilà, si incomplètes qu’elles soient, des données positives sur la femme de Shakspeare !

Eh bien ! non : aucun de ces faits n’est ni certain, ni probable ; aucune de ces données n’a de quoi nous renseigner le moins du monde sur la femme de Shakspeare ! Dans un livre des plus curieux, un érudit anglais, M. Gray, nous communique les résultats du consciencieux examen où il a soumis les cinq documens en question, soit en les comparant avec d’autres documens analogues, ou en s’efforçant de découvrir leur signification et leur portée réelles, à la lumière de tout