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Par le nombre des parties ou des voix, sinon par la forme ou le type, commun aux trois genres, le quatuor se place entre la sonate et la symphonie. Il participe ainsi du principe ou de l’idéal individuel et de celui de la foule. On peut dire que l’un et l’autre sinon se corrigent, du moins se tempèrent et s’accordent en lui. Il « hait le profane vulgaire et l’écarté. » Il ne cherche pas le peuple ; il ne va pas à lui, qui ne le comprendrait pas. Il n’est pourtant pas égoïste ni jaloux, puisqu’il se partage. Mais il fait peu de parts de lui-même. Pour auditeurs, comme pour interprètes, il veut quelques amis seulement. Nous appelons d’un beau nom, « musique de chambre, » celle dont il est le type supérieur. Elle en pourrait recevoir de plus nobles et presque saints, bien qu’aussi familiers. On parle beaucoup en ce moment de la dernière œuvre de M. Richard Strauss, la symphonie Domestique. On la dit plus complexe et plus touffue encore que les précédentes. Si riche et si vaste qu’elle puisse être, il est douteux qu’elle enferme en soi, comme un quatuor des maîtres, toute la poésie, tout l’idéal de la maison et du foyer.

Cet idéal intime est un sublime idéal, et je ne sais d’égal à tant de sobriété que tant de grandeur et de puissance. Quel exemple, ou quel reproche, que cette forme d’autrefois pour celles d’aujourd’hui et, pour nos profusions, que cette épargne ! Ici la matière n’est rien, tout est esprit. Quatre portées embrassent le monde entier des sons et, tout entier aussi, le monde de la pensée ou du sentiment, que l’autre exprime. Rien n’est au-dessous, rien n’est en dehors de ces quatre petites lignes, et ce n’est pas dans la colossale dramaturgie d’un Wagner même, c’est dans les quatuors d’un Beethoven qu’il y a le plus de musique, le plus de vie et le plus de beauté.

Les dix-sept quatuors de Beethoven (y compris la fugue) se développent sur un espace de vingt-sept ans : de l’année 1800 (Beethoven avait trente ans) à l’année 1827, qui fut celle de sa mort. Un intervalle de quatorze ans (1810-1824) sépare le onzième du douzième, où commence la série de ceux qu’on a coutume d’appeler avec un peu d’effroi les derniers. Nous avons donc en ceux-ci, — et c’est leur intérêt spécial, — les témoins et les confidens les plus nombreux des trois suprêmes années du maître. Aussi bien, si ce n’est mieux, que les sonates et les symphonies, les quatuors de Beethoven racontent sa gloire et sa misère, son génie et sa destinée. La forme générale avant tout, cette forme ou ce plan commun à la sonate, au quatuor, à la symphonie, s’y renouvelle et s’y métamorphose. Tandis que, par le nombre et la disposition des