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lettres d’hippolyte taine.


M. Harrison[1], formule leur doctrine ainsi : « Arranger la société de façon que le capital soit employé à de plus nobles usages. » Et, très évidemment selon moi, c’est une phrase de ce genre qui a armé les cent mille communeux insurgens de Paris. D’après toutes les correspondances, les femmes sont fanatiques, et dans les quartiers rouges on tire encore maintenant sur les officiers, on assassine les soldats isolés. — Ma conviction est que Paris va cesser d’être capitale ; nous allons être séparés par un abîme du monde parisien, de la vie parisienne telle que nous les avons connus.

Aujourd’hui après mon travail, promenade seul à Magdalen collège ; je ne me lasse pas de voir et d’admirer les vieux bâtimens festonnés de lierre, noircis par l’antiquité, surtout les quadrangles à arcades, qui font promenoir comme dans les couvens italiens. Vaste jardin par derrière, parc d’ormes énormes avec quantité de daims familiers, longue chaussée entre deux rivières, plantée des plus beaux arbres ; vue au-delà sur des prairies regorgeantes d’herbes et de fleurs, parsemées de traînées rouges par les oseilles sauvages, d’un tel luxe de végétation qu’il faut les voir pour se les figurer. Presque toujours ces grands quadrangles, avec le tapis de verdure qu’ils enserrent, sont solitaires. Cette sensation de solitude poétique, pittoresque, soignée, est charmante. On rencontre en sortant à droite, à gauche, un haut mur crénelé, une chapelle gothique, un portail Renaissance, une statue de bronze de 1600, une façade de colonnes torses, des balustres profilés sur le ciel, quelques grands dômes cerclés de colonnettes, et partout de la verdure et des fleurs. — Mais Oxford est trop beau, la vie trop mondaine, trop occupée de réceptions et de relations ; ils avouent qu’on ne travaille pas ici comme en Allemagne.

Taine.
  1. M. Frédéric Harrison, né en 1831, chef du positivisme anglais et disciple d’Auguste Comte.
tome xxvi. — 1905.
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