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devenir un jour secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts ; Caro, le plus élégant et le plus séduisant des philosophes ; Eugène Manuel, poète tendre et délicat, dont la fortune n’a pas égalé le mérite ; Challemel-Lacour, aussi éloquent à l’Ecole dans les controverses de philosophie qu’il le parut plus tard dans les assemblées politiques ; Weiss et Assolant, tous deux si spirituels ; Pasteur enfin, dont personne ne soupçonnait alors les grandes destinées, mais dont nous admirions tous l’application au travail, la persévérance, la volonté. La presse par le souvent de la grande promotion de 1848, sans doute parce qu’elle comprenait avec Taine trois des maîtres du journalisme : Sarcey, About, Prévost-Paradol. Je suis quelquefois tenté de réclamer une part d’attention pour les promotions antérieures, sans parler des vivans, avec l’unique ambition de défendre la mémoire des morts.

Comme les peuples heureux, nous n’avions pas d’histoire. Nous préparions consciencieusement nos examens, nous échangions nos idées philosophiques et littéraires. Nos esprits se formaient et mûrissaient dans des entretiens amicaux, dans des luttes de parole auxquelles prenaient part volontiers les plus hardis de nos camarades. Notre émulation ne nous mettait guère aux prises que dans le monde de la pensée. Et cependant, au fond de notre cloître laïque, nous ne pouvions échapper complètement aux agitations politiques de nos contemporains. Le bruit de la lutte pénétrait jusqu’à nous. La Presse d’Emile de Girardin, les Girondins de Lamartine que nous lisions assidûment, faisaient entrevoir la tempête prochaine. Elle éclata dans les journées de Février plus rapidement et plus violemment qu’on ne le croyait. L’Ecole normale fut alors entraînée par la force des choses dans une action politique imprévue dont elle se tira à son honneur et que j’ai racontée ici même il y a quelques années.


A. MEZIERES.