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J’ai appris, par M. Hérold et par un jeune secrétaire de M Picard, que l’on délibérait sur la question de savoir si l’on ferait ou si l’on ne ferait pas les élections municipales à Paris. A midi, on nous dit que l’on était arrivé à cette conclusion : de faire voter, par oui ou par non, la population de Paris, sur la question de savoir si elle entendait faire maintenant ou plus tard les élections municipales. Je n’ai pu m’empêcher de hausser les épaules, et de dire aux personnes présentes que cette décision serait, non seulement une preuve inconcevable de faiblesse, mais qu’elle était aussi dangereuse que grotesque. C’était jouer à la fois le jeu des communards et celui des Prussiens. Je me suis retiré, désolé de tant d’impéritie de la part de ceux qui nous gouvernent. A deux heures, on a donné lecture, dans la cour du ministère où étaient réunis les gardes nationaux de mon bataillon, d’une proclamation ainsi conçue :

« L’affiche publiée hier, pendant que les membres du gouvernement étaient gardés à vue, annonce des élections matériellement impossibles pour aujourd’hui, et sur l’opportunité desquelles le gouvernement veut connaître l’opinion de la majorité des citoyens. En conséquence, il est interdit aux maires, sous leur responsabilité, d’ouvrir le scrutin. La population de Paris votera jeudi prochain, par oui ou par non, sur la question de savoir si l’élection de la municipalité et du gouvernement aura lieu à bref délai. Jusqu’après le vote, le gouvernement conserve le pouvoir, et maintiendra l’ordre avec énergie. »

Cette proclamation a été bien accueillie dans nos rangs, mais surtout à cause de la dernière phrase sur l’ordre. Il est pourtant impossible qu’on ne s’aperçoive pas plus tard combien il est absurde d’aller consulter une population sur la question de savoir si elle veut, oui ou non, qu’on la consulte à plus ou moins bref délai sur une question qui agite si profondément les passions. Cela est tout simplement ridicule. Il y a une autre énormité dans cette proclamation : celle de confondre dans un même vote deux choses aussi différentes que l’élection d’une municipalité pour Paris, et le choix d’un gouvernement pour la France. Cette confusion ne peut tarder à choquer1 les bons esprits. Que penseront de tout cela les départemens ? Quoi qu’il en soit, je suis obligé de convenir que, parmi les gardes nationaux de mon bataillon, la proclamation du gouvernement n’a pas mal réussi.

Les renseignemens qui m’arrivent, sur ce qui s’est passé