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de toutes sortes de gens, de militaires surtout, et des officiers de son état-major. Je m’adresse d’une voix assez forte aux personnes qui sont présentes ; je m’élève contre l’inertie dans laquelle on demeure. J’assure (hélas ! sans trop le savoir) que la garde nationale est prête à marcher ; mais j’ajoute que la garde nationale ne suffira pas, que la garde mobile n’est pas assez, qu’il faut de la troupe et les canons du général Ducrot, si cela est nécessaire, afin d’enfoncer les portes de l’Hôtel de Ville et de délivrer le général Trochu ; que c’est une honte, si l’on n’en vient à bout, « car il n’y a pas exemple d’un état-major se laissant enlever son chef par une bande de voyous. » Pendant que je pérorais ainsi, j’avais en face de moi un général en uniforme, auquel s’adressaient plus particulièrement mes paroles. Quel n’est pas mon étonnement de voir que c’est le général Trochu lui-même ! Il avait, en effet, été enlevé d’entre les mains des insurgés et venait à l’instant d’être ramené à son hôtel par le bataillon des mobiles bretons. A mon premier étonnement en succède un second, celui d’entendre le général Trochu entrer dans de longues explications et prendre, ou peu s’en faut, la défense des insurgés auxquels il venait à peine d’échapper : « Il ne fallait pas s’y méprendre. Ce n’avait pas été un sentiment mauvais qui les avait conduits à l’Hôtel de Ville. C’était plutôt l’explosion de la grande douleur patriotique qu’ils avaient ressentie en apprenant la chute de Metz. Dans les masses populaires, tous les sentimens violens prennent naturellement, à Paris surtout, la forme révolutionnaire. De la méchanceté, des intentions coupables et sanguinaires, il n’en avait pas vu la moindre trace dans les paroles des hommes exaltés qui l’avaient retenu prisonnier. Il fallait, avant tout, prendre garde d’exaspérer les passions de ces gens-là, en paraissant les traiter comme s’ils étaient des scélérats. Il n’y avait donc pas lieu de faire marcher l’armée contre eux ; l’emploi de la garde mobile avait peut-être lui-même quelques inconvéniens ; il valait mieux ne recourir qu’à la garde nationale. » J’avoue que ces paroles étaient loin de me convaincre. Elles n’étaient pas plus goûtées, à ce qu’il m’a semblé, par les personnes présentes. J’ai entendu un général de très grande taille, ayant la figure très mâle, et que je suppose être le général Ducrot, s’écrier : « Si l’on ne fait pas fusiller ces gaillards-là, dans les vingt-quatre heures, c’est de la faiblesse et de la lâcheté. » Telle ne paraissait pas être la disposition du