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formique peut être considéré comme un véritable hydrate de carbone. Sa formule brute répond à un atome de carbone uni à une molécule d’eau. Il est, si l’on veut, le plus simple des amidons ou des sucres ; ou, du moins, il l’est en puissance. Il suffit, en effet, d’imaginer que plusieurs molécules de ce corps se condensent en une seule, se polymérisent, selon la façon de dire des chimistes, pour que le corps devienne un hydrate de carbone véritable. Six molécules condensées en une seule donneraient le sucre de glucose. La simple déshydratation du glucose fournirait ensuite l’amidon.

C’est cette imagination qu’a eue le célèbre chimiste allemand Baeyer en 1881. Il a proposé cette manière de concevoir le phénomène initial de la synthèse végétale chlorophyllienne. Ce n’était de sa part qu’une vue théorique ; mais on peut dire qu’elle avait une valeur, en quelque sorte, prophétique. Dans le monde des chimistes, certains la combattirent, d’autres l’adoptèrent. Quand on la repoussa, ce fut en raison de son caractère hypothétique ; ce fut aussi, de la part des physiologistes, en vertu de cette considération que le composé initial, l’aldéhyde formique, est un poison pour les plantes, et, en conséquence, ne saurait participer à un mécanisme fonctionnel normal. Mais c’est là une mauvaise raison ; car l’on sait bien que le fonctionnement régulier des organismes vivans engendre des substances toxiques que leur neutralisation immédiate rend inoffensives.

Parmi les partisans de la première heure de cette doctrine, il faut citer en France Würtz. L’éminent chimiste essaya même de réaliser la synthèse des sucres en partant de ces idées. M. Maquenne, un peu plus tard, apporta un argument de fait en faveur de l’hypothèse, en recueillant de l’alcool méthylique des feuilles vertes par simple distillation dans l’eau. La production des sucres par polymérisation de l’aldéhyde méthylique donna des résultats dans les mains de Boutlerow et d’O. Loew ; elle réussit enfin d’une manière définitive dans les mains de Fischer. Elle a été accomplie par degrés. Elle a fourni chemin faisant une série de composés intermédiaires qui se rencontrent en effet dans les plantes et dont on ne soupçonnait pas l’existence. Ces brillans résultats, qui ont établi la réputation scientifique hors de pair du chimiste allemand, ont donné un appui solide aux idées de Baeyer et de Würtz sur la nature essentielle du phénomène chlorophyllien.