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Lamennais n’était pas insensible à des exhortations si pressantes, et cependant il ne se décidait pas. S’il n’eût écouté que son penchant personnel, il eût sans doute donné ses préférences à un genre de vie semblable à celle qu’avait menée son oncle des Saudrais, si, affranchi comme lui de tout souci matériel, il avait pu consacrer ses loisirs à lire des livres ou à en faire.

Mais ce n’était déjà plus un rêve réalisable ; car la famille de M. de Lamennais se trouvait menacée d’une ruine prochaine, et chacun devait songer à pourvoir par soi-même aux besoins de son existence. Or, en dehors du négoce, une ville comme Saint-Malo offrait peu de ressources. Les professions libérales y étaient à peine représentées, et, devant un jeune homme plus soucieux de cultiver son esprit que de faire sa fortune, nulle voie ne s’ouvrait guère autre que l’état ecclésiastique. Il n’est donc pas bien étonnant que le futur écrivain de l’Avenir, si strictement limité dans son choix, ait accepté sans trop de peine l’idée de se faire prêtre. Renan, placé trente ans plus tard dans des conditions à peu près identiques, devait céder aux mêmes considérations et faillit commettre la même méprise.

Retenu toutefois par de secrètes répulsions dont il démêlait mal et la cause et la nature, Lamennais doutant de lui-même et n’osant se résoudre, trouva plus facile de confier à son frère le soin de décider sa vocation. Or l’abbé Jean était porté par caractère à brusquer les solutions. Peu apte à percevoir les mobiles et délicates nuances d’une nature aussi complexe que celle de Lamennais, il pensa qu’il fallait user de vigueur, et pousser ce perpétuel irrésolu à entrer dans la cléricature, comme on l’avait poussé à faire sa première communion. Peut-être, en cette occasion, ne se défendit-il pas assez du sentiment très naturel, mais bien dangereux, qui lui faisait désirer que son frère se fît prêtre lui aussi et se consacrât sans retour au service d’une cause que lui-même il aimait passionnément. Impatient d’en finir, il sollicita l’agrément de l’évêque de Rennes et le consentement de M. de Lamennais. Son frère le laissa faire et, quand tout fut prêt, il se résigna à recevoir la tonsure[1].

Il parut d’abord que l’abbé Jean n’avait qu’à se féliciter de

  1. Le 11 mars 1809.