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la hâte avec laquelle les commerçans chinois tirent parti de la construction des voies ferrées pour leurs spéculations. » Les mêmes phénomènes s’observent sur le réseau anglais du Tchili, dont une partie tout au moins traverse un pays riche et peuplé, et qui sert de débouché à la capitale. Lorsque je m’y trouvais, à l’automne de 1897, quelques mois à peine après l’ouverture, les trains avaient autant de voyageurs chinois qu’ils en pouvaient contenir ; les riz, les fruits, tous les produits du Sud expédiés vers Pékin, qui remontaient auparavant le Peï-ho en barque, se sont hâtés de prendre la voie ferrée, dès qu’elle leur a été ouverte. Dans le Chantoung seulement, il semble que le trafic soit plus maigre qu’on ne l’espérait ; mais la population de cette province surpeuplée est très pauvre ; et peut-être faudra-t-il attendre la mise en exploitation des richesses minières pour avoir des transports importans ; peut-être aussi les Allemands, — qui, en tant qu’administrateurs, sinon en tant que commerçans, paraissent s’entendre particulièrement mal avec les Chinois, — ont-ils manqué de la souplesse nécessaire à l’adaptation du progrès occidental en pays asiatique. Nous ne parlerons pas des chemins de fer de Manchourie dont la politique a dicté le tracé à travers un pays presque désert, sauf sur les 300 kilomètres de Niou-tchouang à Moukden et Tiéling : l’ouverture de cette dernière section a eu pour effet d’augmenter beaucoup les exportations du port de Niou-tchouang.

L’expérience, encore bien courte, des chemins de fer dans le Céleste Empire, suffit ainsi à prouver que les Chinois, comme tous les hommes, s’en servent très volontiers ; qu’en Chine comme partout ailleurs, ils développent le commerce ; et ont même vite fait de créer des courans d’échange qui n’existaient pas avant eux ; en un mot que l’esprit éminemment pratique des Fils de Han a bientôt raison de leurs superstitions, lorsque les mandarins et les lettrés ne viennent pas les surexciter. Il est remarquable que, depuis l’insurrection des Boxeurs, qui a servi de leçon à ces personnages, on n’a signalé nulle part de troubles sérieux, d’attentats contre des Européens suscités par la construction des voies ferrées. Beaucoup d’hommes connaissant la Chine pensaient même que celles-ci rencontreraient plus de résistance.

Lorsqu’on examine les progrès accomplis dans le Céleste Empire au cours de cette brève période de moins de neuf ans, qui s’étend du terme de la guerre sino-japonaise au début de la