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alors la chronique scandaleuse de Lyon ; et quant au nom de l’Espinasse[1], c’était celui d’une terre entrée dans la famille d’Albon dans le courant du XVe siècle, par le mariage d’Alix de l’Espinasse[2]avec Guillaume d’Albon, seigneur de Saint-Forgeux. En rédigeant ainsi l’acte baptistaire de sa fille, la cliente du sieur Basiliac se désignait elle-même de la plus transparente façon.

Il n’est personne qui ne connaisse l’illustration et l’ancienneté de la maison d’Albon, qui donnait, dès le XIIe siècle, des gouverneurs au Dauphiné, et dont, pendant un temps, telles étaient la richesse et la puissance territoriales, qu’il fut question, dit-on, « d’ériger ses possessions en royaume, parce qu’elles en avaient l’étendue[3]. » De cette race militaire, dont plus d’un rejeton marqua dans notre histoire, le plus célèbre fut sans doute le maréchal de Saint-André[4], le héros des guerres de la Ligue, dont la bataille de Dreux termina la carrière. Au début du XVIIIe siècle, la famille était partagée en deux branches, — les comtes de Saint-Marcel et les marquis de Saint-Forgeux, — dont chacune était représentée par un unique enfant : Claude d’Albon, comte de Saint-Marcel, né à Roanne le 25 juin 1687, et Julie-Claude-Hilaire d’Albon, née à Lyon le 28 juillet 1695. Cette dernière, orpheline de mère à trois ans, et confiée, dès cet âge, aux soins d’un père dont l’existence paraît avoir été peu édifiante, passait avec raison pour une des riches héritières du pays : du côté paternel, elle devait posséder un jour le marquisat de Saint-Forgeux, tandis que de sa mère défunte elle tenait la principauté d’Yvetot, dont elle portait le titre et dont les revenus lui constituaient une dot considérable. On concevra sans peine que, dans l’une et l’autre famille, la pensée soit venue de réunir sur la tête d’un d’Albon un si beau patrimoine : de ce désir naquit le projet d’un mariage entre les deux cousins. Que les futurs se convinssent et que leurs humeurs s’accordassent, s’inquiéter de pareils détails ne cadrait guère avec les mœurs de

  1. Dans les mémoires du temps et dans les actes juridiques, le nom de l’héroïne de cette étude est écrit tantôt de l’Espinasse, tantôt de Lespinasse, tantôt Lespinasse tout court. J’ai adopté au cours de mon récit l’orthographe qu’elle employait elle-même quand elle signait son nom, c’est-à-dire de Lespinasse.
  2. Fille d’Hugues de l’Espinasse, seigneur de Saint-André, près Roanne. — Arch. nat., m 259.
  3. Histoire de la principauté d’Yvetot, par Beaucousin.
  4. Jacques d’Albon, maréchal de Saint-André, 1524-1562.