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au peuple, et à plusieurs reprises, pour qu’il en fût bien convaincu, que son ancien défenseur avait abandonné sa cause. Les tribuns, Rullus, Labienus, mènent la campagne, mais on sent qu’ils prennent le mot d’ordre des chefs de la démocratie. C’est surtout de César qu’ils s’inspirent et le rôle qu’il y joue est précisément ce qui donne à ces luttes leur véritable importance. Quelque intérêt qu’elles présentent, je demande la permission de n’en rien dire pour m’enfermer plus étroitement dans l’histoire qui fait l’objet de ce travail.

Ces débats avaient pris beaucoup de temps. On touchait à la seconde moitié de l’année, et Cicéron pouvait dire, dans son langage imagé, qu’après une navigation orageuse, il apercevait enfin la terre, lorsque éclata une tempête bien plus grave que celles auxquelles il venait d’échapper.

C’est en effet dans les derniers mois de son consulat que la conjuration de Catilina a été découverte et punie. En réalité, elle devait couver depuis quelque temps, mais on ne la voyait pas, ou plutôt on ne voulait pas la voir ; car il y avait, au milieu de ces agitations perpétuelles, comme un parti pris de vivre au jour le jour et de ne pas s’inquiéter d’avance. Cette sorte d’obstination à n’en pas parler a pu faire penser qu’elle n’existait pas, et quelques historiens ont prétendu qu’elle n’a réellement commencé que vers le moment où on l’a découverte[1]. Il est bien difficile de le croire quand on sait combien l’organisation en était étendue et compliquée, qu’elle comprenait non seulement Rome, mais presque toute l’Italie, et qu’en Étrurie on était parvenu à former des rassemblemens de troupes assez considérables. Même en supposant que ces mouvemens n’étaient qu’ébauchés quand la conjuration fut étouffée, il n’en reste pas moins que pour en concevoir l’idée, pour en commencer l’exécution, pour mettre en train cette lourde machine, il semble que quelques semaines ou même quelques mois n’étaient pas suffisans.

Nous ne saurons jamais d’une manière précise à quel moment Catilina conçut l’idée de sa conjuration et quand il a commencé à la réaliser. Contentons-nous de chercher de quelle

  1. C’est l’opinion de M. John, dans son ouvrage intitulé : Die Entstehungsgeschichte der Catilinarische Verschwörung. Il y dit en propres termes (p. 155) que ce fut l’échec de Catilina aux élections de 691 qui lui donna l’idée de la conjuration. Mais je crois qu’en étudiant de près les textes de Cicéron, on y trouvera la preuve que la conjuration, soit à Rome, soit dans l’Italie, est antérieure aux élections.