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de si rudes coups à l’aristocratie en formant le premier triumvirat, c’est-à-dire Pompée, Crassus et César. De près ou de loin, ils vont se trouver mêlés à toute l’histoire du consulat de Cicéron, et, avant de l’entamer, il faut bien dire en quelques mots quelle était alors la situation politique de chacun d’eux.

Pompée commande l’armée d’Asie ; cependant il n’est pas si loin de Rome qu’on pourrait le croire, car il occupe la pensée de tous les politiques. La conquête de l’Orient étant finie, on sait qu’il est près de revenir, mais on ignore ce qu’il va faire. Personne n’imagine que cet ambitieux se conduira comme les conquérans d’autrefois, qui, leur tâche achevée, s’en retournaient à la charrue ou reprenaient tranquillement leur place au Sénat. Les bons citoyens un peu soupçonneux, comme Caton, redoutent qu’il ne veuille s’emparer de l’autorité souveraine par un coup de force et se préparent à résister. Ceux qui le connaissent mieux et ne le croient pas capable de ces entreprises audacieuses, supposent qu’il profitera de son prestige pour réclamer ces pouvoirs exceptionnels pour lesquels il a tant de goût parce qu’ils flattent sa vanité et le mettent au-dessus des autres. C’est à quoi ne se résignent pas ses anciens associés, qui ont été ses égaux et ne veulent pas devenir ses subordonnés. On a pensé, avec raison, je crois, que l’attente de ce retour, qui les inquiète, le besoin de fortifier leur situation, de se faire des alliés et de prendre, grâce à la confusion générale, une position plus forte, sont parmi les principaux motifs qui les ont portés à favoriser toutes les conspirations. On peut donc attribuer à Pompée, quoiqu’il fût absent, une part importante dans les agitations qui ont troublé le consulat de Cicéron.

Des deux autres triumvirs, c’était Crassus qui dissimulait le moins son inquiétude. Quoiqu’il eût fait autrefois bonne figure à la tête des armées, il représentait surtout dans l’alliance le pouvoir de l’argent ; il y jouait donc un rôle moins brillant, mais peut-être en réalité plus efficace. Les origines de son immense fortune étaient assez honteuses : il l’avait commencée sous Sylla en se procurant à bon marché des biens de proscrits ; elle s’était accrue plus tard par des spéculations heureuses. Il profitait des incendies, si fréquens à Rome, pour acheter à bas prix les maisons endommagées et les faire rebâtir par des architectes et des maçons qui étaient à son service : il était ainsi devenu propriétaire de quartiers tout entiers ; il possédait aussi de grands