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siècles. Rien ne nous fait plus admirer le patriotisme des magistrats de ces époques primitives que de songer aux concessions réciproques, aux sacrifices d’amour-propre, d’opinions, d’intérêt qu’ils durent se faire l’un à l’autre pour rester d’accord entre eux. Il y eut cependant des inimitiés, des luttes, qu’on accommoda d’abord comme on put, mais qui éclatèrent avec violence, quand les mœurs publiques commencèrent à s’altérer. Quelques années avant le consulat de Cicéron, la querelle entre Octavius et Ginna, deux collègues qui avaient promis de vivre en bonne amitié, finit par une guerre civile. Plus tard, César et Bibulus, deux mortels ennemis, furent nommés consuls ensemble. On s’attendait à des luttes passionnées ; mais César, qui savait bien qu’il avait affaire à un collègue entêté et médiocre dont il n’aurait jamais raison, prit le parti de se passer entièrement de lui. Il le laissa s’enfermer dans sa maison, protester solennellement contre tout ce qui se faisait en son absence, et s’occupa tout seul des affaires publiques. Cette année-là, il n’y eut vraiment qu’un consul.

Cicéron arriva au même résultat par un autre moyen. Il savait qu’il lui serait possible de s’accommoder avec son collègue en y mettant le prix. Antoine était tout à fait ruiné et comptait se refaire dans la province que, selon l’usage, il aurait à gouverner après son consulat. Les deux provinces qu’on avait réservées d’avance pour les consuls, quand ils sortiraient de charge, étaient la Macédoine et la Gaule cisalpine ; ils devaient tirer au sort entre eux celle qui leur serait attribuée. La Macédoine était de beaucoup la plus avantageuse, et Antoine la convoitait ; Cicéron la lui céda, avant que le sort eût décidé. Il n’y avait pas grand mérite, car il était résolu à n’accepter ni l’une ni l’autre des deux provinces et ne voulait quitter Rome sous aucun prétexte. Cependant Antoine lui sut gré de cette complaisance, et c’est à elle qu’on attribue que, tant que dura ce ménage mal assorti, il n’y eut d’éclat public d’aucun côté ; mais il n’y eut pas non plus de confiance réciproque. On n’obtint jamais d’Antoine qu’il s’engageât formellement à soutenir la politique de son collègue. Il conserva ses rapports intimes avec Catilina, qui ne cessa pas de compter sur son appui, et il est probable qu’il tenait au courant son ancien associé de ce qu’il avait intérêt à savoir. Malgré tout, Cicéron, qui ne l’ignorait pas, continuait à le traiter avec les plus grands égards et cherchait à le désarmer par ses prévenances.