Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’était surtout une question de nuance et de mesure. Au reste, depuis le temps où ils ont écrit, les sciences qui servent à l’écrivain pour préparer son travail n’ont cessé de progresser : les méthodes de recherche se sont perfectionnées ; la littérature, de lyrique qu’elle était, est devenue réaliste ; nous avons le culte du fait et du petit fait. La manière d’écrire l’histoire a donc pu se modifier sensiblement, et prendre la marque d’aujourd’hui. Pour la définir, pour en démêler les caractères et les procédés, on ne saurait choisir de modèle plus significatif que cette histoire de 1815[1], dont M. Henry Houssaye, après n’y avoir consacré guère moins de vingt années, vient de nous donner le dernier volume.

Il faut lire l’ouvrage d’ensemble ; c’est le moyen d’en apprécier le mérite de composition, l’équilibre et l’harmonie. Ce récit d’histoire, qui vaut d’abord par l’exactitude de l’information et par la sûreté de la critique, nous frappe tout de suite par les ressources merveilleuses que le sujet même en devait offrir au talent d’un écrivain. Sans doute, pour choisir ce sujet, l’historien a eu surtout des raisons tirées de ses précédons travaux ; et nous n’oublions pas qu’il avait, au préalable, fait revivre les grandes journées de la campagne de 1814 ; toutefois on ne serait pas étonné qu’il y eût été, en partie, amené par un instinct d’artiste. Car cette extraordinaire aventure des Cent-Jours tient dans des limites précises : elle a, comme un drame de la scène, son prologue, son point culminant, son douloureux épilogue. Dans ce court espace de temps, la lumière est projetée à flots sur les hommes et sur les événemens. Et, dans le cadre ainsi limité par la nature même des choses, l’auteur pouvait faire tenir à la fois tous les élémens dont se compose, à chaque heure du temps, la vie publique d’un peuple. Tel est en effet le caractère qui distingue le livre de M. Houssaye. L’auteur a voulu, comme on eût dit jadis, faire un tableau d’histoire, embrasser dans une vaste fresque l’ensemble d’une époque. D’autres, suivant une méthode d’abstraction d’ailleurs parfaitement légitime, écrivent l’histoire diplomatique, ou parlementaire ou militaire, ou économique. L’historien artiste a besoin de nous montrer tous les élémens se pénétrant comme ils font dans la réalité. Il nous mènera tour à tour dans le cabinet du souverain, dans l’assemblée délibérante, sur le champ de bataille, dans les cérémonies, dans les fêtes, dans les rues des villes, dans les campagnes. Ces

  1. Henry Houssaye, 1845 : I.la Première Restauration, le Retour de l’île d’Elbe, les Cent-Jours. — II. Waterloo. — III. la Seconde abdication, la Terreur blanche, 3 vol. in-8o (Perrin).