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efforts des parlementaires, pour acculer les pouvoirs publics à une intervention en faveur des exploités. C’est par la seule poussée de la grève générale que les travailleurs s’émanciperont du joug capitaliste et gouvernemental, et sortiront du salariat.

Cette thèse est très bien expliquée par un syndicaliste révolutionnaire, M. Pouget[1]. La grève générale, dit-il, n’a pas un blason idéologique, elle n’a été inventée ni par un théoricien socialiste, ni par un philosophe. Elle s’est fait jour dans les premiers congrès de l’Internationale, elle a été acclamée dans tous les congrès corporatifs en France, depuis 1892. On objecte qu’elle n’est acceptée que par la minorité des ouvriers. « Mais la minorité ne peut pas renoncer à ses exigences et à ses droits par égard à la masse. Et qu’on ne dise pas que c’est là un acte égoïste. Les militans sont victimes des entrepreneurs qui les chassent. Leur activité n’a jamais un but individuel ou particulariste ; elle est toujours une manifestation de solidarité ; et l’ensemble des ouvriers, bien qu’ils n’y participent pas, jouissent aussi des avantages obtenus. Il y a une différence puissante entre syndicalisme et démocratie. La démocratie, par le mécanisme du suffrage universel, donne la domination aux ignorans et aux retardataires et opprime la minorité qui porte en elle l’avenir. La tactique de combat syndicaliste produit un résultat tout opposé. Elle n’a aucun égard à la masse, qui ne veut pas vouloir, et met au premier rang ceux qui sont décidés à agir. »

Ainsi, tandis que les syndicaux révolutionnaires reprochent aux socialistes parlementaires de vouloir constituer dans le mouvement socialiste une élite dirigeante, égoïste et privilégiée, ils prétendent eux-mêmes s’arroger les droits d’une élite, mais d’une élite désintéressée, persécutée, qui se sacrifie pour la masse. M. Gabriel Deville, jadis révolutionnaire ardent, converti désormais à l’opportunisme parlementaire, met en relief cette contradiction : « La théorie des syndicaux révolutionnaires, écrit-il, est la même que celle de l’absolutisme éclairé. Les militans se considèrent comme supérieurs à la masse, et arrivent à constituer une aristocratie, avec tous les défauts inhérens à cette classe. Ils veulent conduire par la lisière les travailleurs dans leur intérêt, et n’attendent pas qu’ils s’affranchissent eux-mêmes.

  1. Dans la Voix du Peuple, journal officiel de la Confédération générale du travail, et dans l’enquête du Mouvement socialiste.