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grève générale. Ateliers et mines se vidèrent aussitôt dans les districts miniers, à Bruxelles, à Louvain, à Anvers, à Mons, où il y eut quelques morts et plusieurs blessés. Des attentats furent commis contre M. Woeste, l’un des chefs du parti catholique, contre le bourgmestre Buls. La grève ne dura guère plus de quarante-huit heures. La Chambre résignée adopta le projet Nyssens, l’universalité du suffrage, mais avec le mode plural. C’était une innovation dans le droit public européen. La loi belge cherchait à remédier à ce que le suffrage universel a d’aveugle et d’instable ; elle exigeait la résidence, établissait le système proportionnel, elle fixait l’âge de l’électeur à vingt-cinq ans, tenait compte de la famille, de la capacité et de la fortune ; les deux voix données à l’homme marié peuvent être considérées comme une ébauche du suffrage des femmes.

Les socialistes belges durent se contenter de ce demi-succès, dont ils tiraient gloire ; mais ils n’étaient pas maîtres de la situation. Les libéraux, la petite bourgeoisie, le roi lui-même, désiraient la fin du régime censitaire. Nombre de patrons avaient été les premiers à conseiller le chômage aux ouvriers[1].

Cependant, grâce à la nouvelle loi électorale, les socialistes avaient pénétré à la Chambre. En 1898, une simple menace de renouveler la grève générale suffit à renverser le ministère Vandenpeereboom, qui avait tenté de remanier la loi électorale, dans un sens jugé plus avantageux aux intérêts conservateurs. Il s’agissait au contraire pour les socialistes de substituer au vote plural le suffrage pur et simple.

En avril 1902, ils jugèrent le moment propice et tentèrent de renouveler la tactique de 1893. Le mouvement commençait par une émeute suscitée à Shaerbeck, faubourg de Bruxelles, par les jeunes gardes socialistes, spécialement chargés de la propagande antimilitariste. Le mercredi 14 avril, la grève générale était déclarée. Trois cent cinquante mille ouvriers répondirent’ à l’appel, avec ce programme : « Un homme, un vote. » Loin de se laisser effrayer, la Chambre écarta la révision par 82 voix contre 64. Les socialistes décrétèrent la continuation de la grève

  1. Encouragés par l’exemple des Belges, les socialistes autrichiens, secondés par les radicaux et les jeunes Tchèques, songèrent à déclarer en octobre 1893 une grève générale, en vue de faire aboutir le projet du comte Taaffe, favorable, quoique conservateur, au suffrage universel. Mais le comte Taaffe fut remplacé par un ministère de coalition. Le doctrinarisme des chefs et l’opposition des partis bourgeois empêchèrent de proclamer la grève.