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Avant de chercher à la débrouiller, rappelons ce qu’ont été en réalité ces grèves générales, et cherchons si les résultats pratiques répondent aux grandes espérances qui les avaient suscitées.


I


La grève générale passe pour le mode de combat le plus moderne. Nous en trouvons cependant le premier exemple à Rome, l’an 493 avant Jésus-Christ, lorsque les plébéiens qui composaient les légions, écrasés par l’usure, firent une double sécession sur le Mont Sacré et sur le Mont Aventin, où le sénateur Ménénius Agrippa vint leur conter l’apologue des Membres et de l’Estomac. Cette révolution commencée par la foule, sans autres chefs pour la conduire que ceux que le hasard lui donna, et accomplie par elle sans une goutte de sang versé, eut des résultats qui se continuèrent pendant de longs siècles : elle enfanta le tribunat populaire[1].

C’est en Angleterre qu’eut lieu, au XIXe siècle, la première démonstration politique des bras croisés. Une grande agitation régnait depuis 1832 parmi les classes ouvrières ; les transformations de l’industrie, l’absence de lois concernant les fabriques rendaient précaire et misérable la condition des ouvriers. La réforme électorale assurait le pouvoir à la bourgeoisie. Les ouvriers, appuyés par des pasteurs dissidens qui se mêlaient à leurs assemblées, réclamaient le droit de suffrage. Le mouvement était tel qu’on pouvait croire l’Angleterre à la veille d’une révolution[2]. Le 2 mai 1842, une interminable procession ouvrière parcourut les rues de Londres pour venir déposer à la Chambre des Communes un programme de revendications qui comprenait le droit de suffrage pour tout citoyen majeur, le parlement élu chaque année, le vote secret, la suppression de toute qualification de fortune, un traitement alloué à tous les membres du Parlement, enfin des circonscriptions électorales égales. C’était la Charte du peuple, d’où le nom de Chartistes donné à ses partisans. Les chefs demandaient qu’un des leurs fût introduit au Parlement, afin d’exposer et de justifier ces exigences. Contre

  1. Mommsen, Histoire romaine, L. II, C. ii.
  2. Lettres de Mérimée ; de Londres, le 25 mai 1835. — Notes sur Prosper Mérimée par Félix Chambon, 1903, Dorbon.