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religieuses : on trouve à Constantza un noyau de Karaïtes, c’est-à-dire de Juifs qui ont rejeté le Talmud et qui s’en tiennent à l’Ancien Testament. Or, personne ne considère ces Karaïtes comme de véritables Juifs. On ne reconnaît en eux ni les qualités ni les défauts du peuple choisi. Et ceux-là mêmes à qui le Talmud est aussi inconnu que la Bible, mais qui détestent les Israélites, les en distinguent et les aiment. On est donc amené à se demander si, dans l’universel mélange de tous les sangs, l’éducation religieuse ne constituerait pas souvent le caractère le plus marqué de ce que nous appelons une race. Notez aussi que, de l’avis des historiens et des anthropologistes, la plupart des Juifs de la Dobrodja et peut-être un certain nombre de la Moldavie ne sont que des Germains, des Slaves, des Tatars judaïsés du VIe au IXe siècle. Mais vous les étonneriez grandement, les Tatars, les Slaves et les Germains, si vous leur présentiez en ces Israélites d’anciens membres de leur famille. À défaut du type sémite, le Talmud leur a donné l’âme juive ; encore ne suis-je pas certain qu’il ne leur ait pas allongé et recourbé l’appareil nasal. — Questions d’archéologie : un des grands squelettes de la puissance romaine dormait dans le sable léger de la Dobrodja. De quels beaux coups de pioche un simple sous-préfet pouvait émerveiller ses loisirs ! — Et les artistes n’étaient pas plus à plaindre que les archéologues, les sociologues et les psychologues ; car c’est ici le triomphe des loques et des guenilles radieuses. Bondées de paysans, les charrettes qui tressautent le long des routes, font danser de violentes couleurs dans la grise mélancolie du désert ; et le soir, sur le seuil des taudis, les fez et les turbans champignonnent au clair de lune.

L’administration roumaine ne se montra pas au début très sensible à ces beautés ni très soucieuse de ces objets d’étude. Mais elle estima que les habitans de cette province privilégiée, sans député ni sénateur, devaient jouir d’une situation sociale au moins aussi extraordinaire que la nature de leur pays. L’annexion leur a conféré le titre de citoyen roumain. Seulement, s’ils ont le malheur de franchir le pont du Danube et qu’ils se réclament de ce titre, la Cour de cassation relève vertement leur impertinence et leur prouve que, citoyens roumains en Dobrodja, hors de la Dobrodja ils ne sont plus ni Roumains, ni citoyens, et ne rentrent dans aucune catégorie connue. Tel Juif ou tel Allemand qui voudrait quitter Constantza et venir à