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appâts jetés aux petites âmes, car enfin des religieuses catholiques en pays orthodoxe, que rêveraient-elles, que machineraient-elles, si ce n’est la conversion des hérétiques de l’Église grecque ? On n’imagine pas l’influence d’un robinet d’eau chaude sur les croyances d’une jeune hérétique habituée chez elle à l’eau froide. Et ne pensez-vous pas que les Promenades archéologiques de M. Gaston Boissier ne sont qu’un chemin détourné pour aboutir au Vatican ? Je me défie de Voltaire, ancien élève des Jésuites. « Madame, dis-je à la religieuse qui me promenait dans sa forteresse romaine, combien sur vos six cents élèves, avez-vous de catholiques ? » Elle me répondit avec un bon sourire : « Monsieur, nous en avons trois. » On s’étonnerait que les Roumains, qui ne témoignent aucune sympathie au catholicisme, eussent à redouter l’apostolat de ces femmes.

Mais alors que font-elles ? Elles font simplement ce qu’il importerait que nous fissions tous dans ces pays où la culture allemande et la culture anglaise essaient de se substituer à la culture française : elles sauvegardent la vieille autorité de notre langue et de notre nom. Partout, en Roumanie comme ailleurs, nos intérêts industriels sont battus en brèche, et, par une sorte d’incompréhensible aveuglement, notre commerce se replie lui-même devant les forces ennemies. Il ne nous reste plus à défendre que les anciennes prérogatives du génie français. Tant qu’on apprendra notre langue et qu’on lira nos ouvrages, nous mériterons l’éloge de Joseph de Maistre : que notre voix porte plus loin que la voix des autres peuples. Si nous pouvons nous flatter encore d’être entendus directement des nations étrangères, nous en sommes souvent redevables au patriotisme de nos missionnaires et de nos religieuses. Et c’est pourquoi je partage l’opinion que m’exprimait l’une d’elles dans ces beaux jardins du couvent de Galatz. Elle savait que ses sœurs de France allaient être dispersées et n’en témoignait point d’amertume, car, disait-elle, les hommes qui les proscrivaient étaient mus apparemment par cette idée qu’elles seraient encore plus utiles à leur pays au-delà qu’en deçà des frontières. Leur expulsion n’était qu’un acte, un peu rude, de politique extérieure. Ainsi l’esprit français essaime et colonise. O merveilleuse expansion d’un pays qui, toujours affamé d’ascendant spirituel, consent, pour l’accroître, aux plus rares sacrifices, et tour à tour déborde sur l’Europe ses protestans, ses gentilshommes et ses religieuses !