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blics sont fréquentés le matin par la bonne compagnie ; le soir, par le peuple. Galatz a de nobles souvenirs. Les restes de Mazeppa reposent, dit-on, dans une de ses églises. Elle a vu passer Jean Paléologue, empereur de Byzance. C’est sur les dalles de ses quais que les boyars barbus attendaient les maîtres que leur envoyait la Sublime-Porte, « ces hospodars, plantes aromatiques cultivées par les mains du Sultan, flambeaux allumés par lui. » Les maisons de ses bas quartiers, aux murs jaunes et au toit d’un rouge foncé, ont été les témoins de ces fastes byzantins. Je n’ai trouvé nulle part en Roumanie de plus grandes fenêtres qui aient rougi à plus de torches triomphales et vibré à plus de carillons. Des festons de gloire semblent pendre encore de leurs balcons rouillés.

Le centre de la ville est populeux, bariolé, commerçant et juif. Mais les hauts quartiers s’étendent immensément, tous en jardins et en villas. Quelle joyeuse débauche d’architectures ! Sur un fond de colonisation grecque, un monde de militaires et de fonctionnaires donne à la vie de Galatz une aimable douceur. Les militaires ont une cordialité charmante. J’ai visité les bâtimens et les arsenaux de la division navale du Danube : « Vous le voyez, m’a dit le commandant : ils sont spacieux ; mais l’argent nous a manqué pour les finir. En attendant qu’il revienne, allons manger du raisin. » Et, sur les pentes qui dominent le fleuve, nous avons fourragé dans des vignes succulentes.

Je ne m’étonne pas que l’argent ait manqué. On aime trop les bœufs, à l’École normale de Galatz. Cette école qui pourrait loger deux cent cinquante élèves et qui n’en contient qu’une centaine, ce splendide casino, qui n’a plus à désirer qu’un matériel scolaire, possède dans son jardin agricole une bouverie, que je n’ose appeler une étable, et dont mes compagnons m’affirmèrent qu’elle avait coûté soixante mille francs. Au taux des banques roumaines, les deux descendans du dieu Apis qui l’occupent jouissent d’un loyer d’environ quatre mille francs. Plût au ciel que nous fussions des bœufs roumains ! On voulait me les montrer, mais ils faisaient leur promenade matinale, et je n’ai pas souffert qu’on dérangeât ces honorables budgétivores.

Quand on songe aux sommes formidables que ce petit peuple roumain a, depuis trente ans, engouffrées dans ses entreprises nationales, quand on additionne les trois cents millions qu’il a dépensés pour faire de sa capitale, après Paris, la première