Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/350

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ainsi la langue martienne qui semble une merveilleuse invention d’Hélène n’est au fond que du français, comme syntaxe et grammaire ; le polygone du médium avait coulé ses élucubrations, à apparences baroques et inédites, dans les moules accoutumés de la seule langue réelle dont elle eût connaissance. Le professeur de Genève a très bien montré que, malgré toutes les apparences, dans le roman martien (comme dans les autres cycles du même médium), il n’y avait rien de neuf, rien de créé.

« C’est, dit-il, une bonne et sage petite imagination de dix à douze ans, qui trouve déjà suffisamment drôle et original de faire manger les gens de là-haut dans des assiettes carrées avec une rigole pour le jus, de charger une vilaine bête, à œil unique, de porter la lunette d’Astané (c’est un Martien), d’écrire avec une pointe fixée à l’ongle de l’index au lieu d’un porte-plume, de faire allaiter les bébés par des tuyaux allant directement aux mamelles d’animaux pareils à des biches… Rien des Mille et une Nuits, des Métamorphoses d’Ovide, des Contes de fées ou des Voyages de Gulliver. Pas trace d’ogres, de géans ou de véritables sorciers, dans tout le roman. On dirait l’œuvre d’un jeune écolier, à qui on aurait donné pour tâche d’inventer un monde aussi différent que possible du nôtre, mais réel, et qui s’y serait consciencieusement appliqué en respectant naturellement les grands cadres accoutumés, hors desquels il ne saurait concevoir l’existence, mais en lâchant la bride à sa fantaisie enfantine sur une foule de points de détail, dans les limites de ce qui lui paraît admissible d’après son étroite et courte expérience. »

Et ce que Flournoy dit là d’Hélène Smith, on peut le dire aussi justement de tous les médiums, qui, dans les séances de spiritisme, ne font preuve d’aucune imagination créatrice.

« Comment, dit M. Pierre Janet, comment les lecteurs de ces messages (des esprits évoqués) ne se sont-ils pas aperçus que ces élucubrations, tout en présentant quelques combinaisons intelligentes, sont, au fond, horriblement bêtes et qu’il n’est pas nécessaire d’avoir sondé les mystères d’outre-tombe pour écrire de semblables balivernes. Corneille, quand il parle par la main des médiums, ne fait plus que des vers de mirliton et Bossuet signe des sermons dont un curé de village ne voudrait pas pour son prône. Wundt, après avoir assisté à une séance de spiritisme, se plaint vivement de la dégénérescence qui a atteint,