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La dame suivante. — C’est un geste qui lui est ordinaire : elle a toujours l’air de se laver les mains ; je l’ai vue le faire sans relâche un quart d’heure de suite.

Lady Macbeth. — Il y a toujours une tache… Va-t’en, maudite tache ; va-t’en, te dis-je. Une, deux heures. Allons, il est temps de le faire. L’enfer est sombre !… Mais qui aurait cru que ce vieillard eût encore tant de sang dans le corps !… Lavez vos mains, mettez votre robe de nuit, ne soyez pas si pâle… Au lit, au lit. On frappe à la porte. Venez, venez, venez, donnez-moi votre main. Ce qui est fait ne peut se défaire. Au lit, au lit, au lit ! (Elle sort.)

Le médecin. — Va-t-elle retourner à son lit ?

La dame suivante. — Tout droit.


Comme le dit très bien le médecin de Shakspeare, le somnambule jouit des bienfaits du sommeil et agit comme s’il était éveillé. À un certain point de vue même, il agit mieux que s’il était éveillé : il peut se promener sur un toit et parcourir une corniche sans vertige, n’ayant pas la vision du danger et avec un équilibre instinctif et automatique bien supérieur à l’équilibre conscient et averti de l’état de veille.

Il y a de l’intelligence dans les actes du somnambule. Non seulement il coordonne ses mouvemens, évite les obstacles qu’il rencontre, mais encore il parle et écrit correctement des choses sensées ; il ne délire pas ; il reproduit une scène qu’il a déjà vécue antérieurement ou qu’il pourrait vivre le lendemain. J’ai vu un soldat faire très correctement, pendant sa crise, tous les exercices militaires. Le sujet de Voltaire se levait, s’habillait, faisait la révérence, dansait le menuet, se déshabillait et se recouchait. L’abbé de Diderot se levait, écrivait ses sermons, les relisait, les corrigeait ou les annotait. Si on substituait une feuille blanche à celle sur laquelle il écrivait, il corrigeait sur cette feuille blanche, se relisant dans sa mémoire… Les actes du somnambule sont donc psychiques[1], appartiennent au monde psychique ou intellectuel.

Cependant, d’autre part, lady Macbeth tient des propos qu’elle se garderait bien de tenir à l’état de veille. Elle voit le

  1. Je crois bon de laisser au mot « psychique » son sens ancien qui est celui du radical de « psychologie » et qui en fait un synonyme d’intellectuel : un phénomène psychique est un phénomène dans lequel il y a de la pensée. Ce n’est donc pas, comme le voudraient certains contemporains, un phénomène « occulte » ou « supranormal. » Je ne m’occupe pas, dans cet article, de ce qui fait l’objet de la Society for psychical Research, des Annales des Sciences psychiques et du livre de Maxwell ; je ne m’occupe pas de ce que Myers appelle les rayons X du spectre psychique, au-delà du violet ou du rouge.