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Marius du reste lui en avait donné l’exemple ; seulement, comme il était un homme d’ordre, il procéda avec plus de régularité. Il se fît dûment autoriser par un sénatus-consulte à tuer tous ceux qu’il voudrait, et Catilina, qu’il avait sans doute appris à connaître, fut choisi pour être l’un de ses exécuteurs des hautes œuvres. La besogne était bien payée, ce qui du reste était aisé au dictateur, puisqu’il rémunérait les bourreaux avec l’argent des victimes. Les biens des proscrits étaient confisqués et devaient se vendre à l’encan (sub hasta) au profit de l’Etat. Mais on ne laissait pas assister tout le monde aux enchères ; ceux-là seuls qu’on voulait favoriser pouvaient approcher de la lance auprès de laquelle se tenait le commissaire chargé de la vente, en sorte qu’ils avaient ce qui leur convenait au prix qu’ils voulaient donner. C’est ainsi, disait-on, que Crassus avait commencé son immense fortune. Catilina dut y faire aussi de beaux bénéfices ; mais il ne ressemblait pas à Crassus, et l’argent ne lui tenait guère entre les mains.

Il méritait bien d’avoir sa part des dépouilles et s’était fort consciencieusement acquitté de la tâche que Sylla lui avait donnée. Nous savons les noms de plusieurs de ses victimes, qui appartenaient à des familles connues. Parmi ces noms se trouve celui de Marius Gratidianus, originaire d’Arpinum, parent du grand Marius et de Cicéron. C’était un personnage si aimé du peuple qu’on lui avait élevé des statues dans certaines places de Rome et que les gens du quartier leur rendaient un culte[1]. Condamné à mourir, il fut traîné devant le tombeau de Catulus auquel on voulait offrir une victime humaine. Là, on lui brisa les jambes, on lui trancha les mains, on lui arracha les yeux. « On voulait, dit Sénèque, le tuer plusieurs fois de suite. » Puis, quand on lui eut coupé la tête, Catilina la prit dans ses mains et la porta toute dégouttante de sang du Janicule au Palatin, où Sylla l’attendait. On pense bien que cette exécution fit grand bruit et qu’on ne l’oublia pas. Aussi se demande-t-on avec surprise comment il s’est fait que ce souvenir, qui était resté dans toutes les mémoires, n’ait pas nui davantage à Catilina. Il a conservé jusqu’à la fin d’honorables amitiés ; il a été candidat aux plus hautes fonctions publiques, et les a souvent

  1. Sa popularité venait surtout de ce qu’étant préteur il avait fait un édit pour défendre d’émettre des monnaies fourrées dont les régimes précédens avaient fort abusé.