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de ce qu’il n’était qu’un simple questeur, à l’âge où le Macédonien avait déjà soumis un empire. Il eut alors la pensée de quitter sa province et de s’en retourner à Rome pour y profiter des occasions. Cependant il n’en fit rien et, après quelques hésitations, il se remit dans le rang comme les autres. En somme, pendant plus de cinq siècles, à quelques exceptions près qui s’expliquent par des circonstances extraordinaires, la règle a été fidèlement suivie ; et c’est ainsi qu’il ne s’est jamais vu, dans ce pays de soldats, un général en chef de vingt-quatre ans, comme Hoche, ou un Bonaparte, maître absolu de son pays à trente ans. Marius, Cinna, Sylla eux-mêmes, avaient passé par tous les degrés, rempli toutes les fonctions légales, quand ils usurpèrent le pouvoir souverain. Il semblait vraiment que cette ambition ne pouvait être permise qu’à des gens qui avaient été consuls. Nous allons voir, dans l’histoire qui va suivre, cette sorte de préjugé opiniâtre se perpétuant jusqu’au milieu des révolutions les plus violentes, et respecté par des gens qui se moquent de tout le reste. Catilina s’obstinera trois fois de suite, au risque de perdre des occasions favorables, à vouloir être consul. Il ne croyait pas possible de faire autrement que l’on n’avait fait jusque-là. Il est vrai qu’après avoir reçu cette consécration du consulat, les ambitieux se crurent quelquefois autorisés à garder le pouvoir, à ne plus consulter le Sénat ni le peuple, à proscrire leurs ennemis sans jugement, à s’approprier leur fortune. Marius et Cinna, qui l’essayèrent, n’y réussirent que pour quelque temps, mais Sylla fut heureux jusqu’au bout. Salluste a bien raison de dire que c’est son exemple qui perdit la république. Dans un pays de tradition, comme était Rome, les précédens semblent tout légitimer ; après Sylla, les ambitieux étaient prêts à tout oser, et les citoyens à tout souffrir.

Voilà quelles furent les suites de l’ambition. L’autre défaut que Salluste reproche aux Romains de son temps, l’amour de l’argent, lui paraît avec raison plus grave encore que l’amour du pouvoir ; mais il a tort de prétendre que ce fût chez eux un mal nouveau, et qu’il y ait eu jamais une époque où ils n’étaient avides que de gloire. Ils ont toujours été fort intéressés. Quelques renseignemens, que les historiens nous ont conservés par hasard, nous apprennent que ces paysans, dont la vie était si pénible sur ce sol maigre et malsain, quand ils partaient en guerre, espéraient bien rapporter chez eux autre chose que des blessures et