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venu. » En soi l’ambition ne lui paraît pas un vice ; elle lui semble même voisine d’une vertu. Puisqu’il n’était pas permis à un citoyen de se refuser aux fonctions publiques, il devait lui être honorable de les désirer. C’est seulement quand on veut le pouvoir à tout prix, qu’on le cherche par de mauvais moyens, en dehors des routes permises, que l’ambition est criminelle, et il est très vrai de dire qu’alors elle devient une cause de corruption et d’immoralité. « Elle enseigne à mentir, elle habitue à avoir sur la bouche le contraire de ce qu’on a dans le cœur, à prendre pour règle de ses amitiés et de ses haines, non la justice, mais l’intérêt, à ne pas se soucier d’être honnête dans l’âme pourvu qu’on le paraisse. » Assurément le tableau est juste ; nous savons nous aussi à quoi peut se laisser entraîner l’homme qui veut arriver à tout prix et le trouble que jettent ses artifices et ses manèges dans les relations de la société. Mais il nous semble que les effets d’une ambition effrénée sont bien plus graves dans la vie publique que dans la vie privée, et nous sommes fort étonnés que Salluste n’en ait presque pas parlé. Il est vrai qu’afin de contenir et pour ainsi dire d’endiguer l’ambition des citoyens, les Romains avaient imaginé une institution qui leur fut très utile et qu’ils surent conserver presque jusqu’aux dernières années. Il était établi qu’on n’arrivait chez eux à la magistrature suprême qu’après avoir traversé une série de magistratures inférieures, séparées entre elles par un intervalle de deux ans. C’était un moyen de tenir l’ambition en haleine, de la discipliner sans la détruire. On profitait ainsi du ressort qu’elle donne aux âmes, et l’on était moins exposé aux dangers qu’elle peut offrir. A chaque fois un but plus élevé était proposé aux convoitises du candidat, et, par ces satisfactions successives, on l’empêchait d’être trop impatient. Il n’atteignait le but que vers quarante-cinq ans, à l’âge où les passions sont moins violentes, et quand un long exercice du pouvoir en avait calmé le désir. Il faut bien croire que le moyen était bon, puisque tant de jeunes gens se sont résignés à gravir ces échelons l’un après l’autre. Nous savons pourtant qu’un jour, la patience faillit manquer à l’un d’eux. Il est vrai que c’était César, et qu’un ambitieux comme lui pouvait craindre « d’être trop vieil, s’il attendait la cinquantaine pour s’amuser à conquérir le monde (Pascal). » Suétone rapporte que se trouvant à Gadès, en Espagne, dans le temple d’Hercule, devant une statue d’Alexandre, on l’entendit gémir