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mourir, bien qu’ayant parfois le mal du pays, chose qui n’est pas à redouter pour Nini. Il faudrait donc qu’une personne du monde, et pieuse, fit cette démarche sans te nommer, et sût s’il y a un couvent dans Paris qui veuille prendre une enfant de trois ans et demi, on peut dire quatre, et ne la laisse voir qu’à sa mère et à sa grand’mère, ou à son père, derrière la grille. Va donc consulter là-dessus M. de Belleyme [le magistrat qui présidait à leurs débats]. Dis-lui que je m’offre à prendre sur moi la responsabilité de lui dire, s’il le permet : « Oui, j’ai soustrait l’enfant au père et à la mère pour qu’il ne fût pas le témoin et le souffre-douleur d’emportemens. dont la mère était impuissante à la défendre. Je l’ai caché. Au jour de la décision des tribunaux, je le rendrai à qui de droit, mais pendant la lutte je l’aurai protégé comme c’est mon devoir. »


A la même.

8 septembre [1852].

Tu me parais plus incertaine que jamais, et je vois qu’avec toi il faut vivre au jour le jour. Tu vas au couvent, tu n’y vas pas. Si tu pouvais faire en même temps les deux choses les plus opposées l’une à l’autre, tu aurais résolu le problème de ta cervelle.

Moi, je suis pour le couvent[1]. Le mot, sinon la chose, nous sauve des cancans, et on y est libre en tout ce qui est raisonnable. Mais s’il y faut des ressources que tu n’as pas, je ne sais comment tu trancheras la difficulté. Peut-être que tu t’exagères la cherté de cette retraite, pour te dissimuler la répugnance qu’elle te cause. On ne sait jamais rien de certain avec toi, et te conseiller est la chose la plus impossible ou la plus inutile du monde.

Nini va bien. Pauvre Nini ! Elle serait charmante, si elle pouvait vivre toujours dans des conditions faites pour son âge, et avec une personne exclusivement occupée d’elle. Mais que faire ? Pense à sa sûreté. Je vois qu’à cet égard tu ne décides rien. Tu dis toujours : je la reprendrai, mais si c’est pour 4u’on te l’enlève au bout de 24 heures, ce n’est pas la peine.


A la même.

21 septembre 1852.

Nini se porte comme un charme, et elle n’est pas reconnaissable pour le caractère. Elle est même gentille avec Solange [la bonne] et il n’y a plus de colères à présent que tous les 4 ou 5 jours, et très peu. Solange aussi apprend à la gouverner avec calme et raison. Avec moi la ninette est ravissante. Son sommeil même est devenu assez raisonnable. Ses nerfs se calment. Elle s’est remplumée… Elle est plus jolie que jamais. Elle parle de toi souvent, mais elle n’a pas de chagrin, et croit toujours que tu reviendras demain. Elle fait des progrès étonnans de compréhension, et se livre à la description du jardin, des fleurs, du soleil qui met son manteau gris, et des étoiles qui ont des pattes d’or, des belles-de-nuit qui s’ouvrent le soir

  1. Il s’agit cette fois d’un abri pour Solange elle-même.