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que j’étais enceinte lorsque j’ai été te voir à Nohant. Je ne m’en doutais guère pourtant. Toujours est-il que je suis au lit pour quelques jours, et fort embêtée (19 septembre 1851). »

« Embêtée, » Solange l’était de toutes façons. Le vide de cette existence commençait à lui peser. Son esprit inoccupé, son cœur sans aliment, criaient famine. L’ennui, d’abord, s’empare d’elle. Elle voudrait s’occuper, le courage lui manque. Comment s’y prendre ? Elle a des habitudes et des goûts de princesse. Et les embarras du ménage recommencent. Et le mari, jusque-là assez attentif, découvre peu à peu sa vraie nature, intempérante, brutale, grossière ! Des allusions voilées percent d’abord ; puis la tristesse, puis le désespoir, le cri d’appel vers sa mère. Cette fois, c’est la crise prévue et redoutée (août-octobre 1851).


X

— 14 août : Je donnerais bien deux sous pour savoir écrire et avoir du talent. Cette réflexion arrive à propos de bécasse, parce que je ne sais rien faire et que je m’ennuie. — 25 août : Je t’assure, ma chérie, que mon régime n’est pas du tout fantastique ; c’est ce régime-là qui me sauve ; sans lui il y aurait longtemps que l’on m’aurait trouvée suspendue à l’espagnolette de ma fenêtre. Ah ! l’ennui ! Tu me dis de travailler. Est-ce que j’ai du talent, est-ce que je sais faire quelque chose ? et, quand je le saurais, le pourrais-je dans ce moment-ci ? Voici ce qu’un auteur, qui ne manque pas d’un certain mérite, dit dans un livre intitulé les Lettres d’un voyageur : « L’ennui est une langueur de l’âme, une atonie intellectuelle qui succède aux grandes émotions ou aux grands désirs… Ni le travail, ni le plaisir ne sauraient le distraire, etc. » — Septembre : Je ne demanderais pas mieux que de travailler, si je savais par quel bout m’y prendre, et si j’avais un Delatouche pour me dire : C’est mauvais, il faut faire autrement. Les raisonnemens ne m’ennuient jamais quand ils viennent de ceux que j’aime ; et les observations, quand même je les conteste, n’en font pas moins leur effet lorsqu’elles sont justes.


George Sand à Solange.

15 septembre 1851.

Tu me disais dernièrement que tu essayerais de travailler si tu avais un Delatouche. Tu trouveras conseil et amitié partout ; et, pour mon compte, je te serai un Delatouche plus bénin, je t’en réponds. Tu devrais, de temps en temps, t’exercer pour toi-même à résumer tes réflexions, tes impressions, etc.) [Suivent les conseils les plus précis, les plus pratiques. Comment George Sand vient de découvrir Bossuet, dont la beauté l’a « épatée[1]. »]

  1. Tout ce passage a été cité par M. René Doumic dans la Revue des Deux Mondes du 15 juin 1904.