Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Madame, je m’empresse de vous envoyer mon petit Faune[1]. Ce sera pour moi une véritable fête d’aller vous le présenter moi-même et vous remercier de votre si bonne visite d’hier. Mon Dieu, que je voudrais pouvoir m’expliquer et vous dire tout ce que mon cœur sent et palpite ! Mais je ne sais que l’écrire sur du marbre ou du bronze. Acceptez donc, Madame, le tribut d’un jeune homme bien fière d’avoir pu graver votre grand nom à côté du sien sur le marbre éternelle. A vous, Madame Sand, l’honneur d’avoir créé et encouragé un jeune statuaire, et qui vous demandera encore aide et protection pour la Terre, cette nourrice des hommes, que je vais chercher à reproduire. Agréez, Madame, etc.

A. CLESINGER.


Vendredi, 19 février 1847.

P. S. Daignez, Madame, présenter mes hommages à Messieurs vos fils (sans doute Maurice et Chopin) et Mme Sand, et les remercier aussi de leur extrême bienveillance à mon égard.

Dès lors les événemens se précipitent. Le sculpteur s’éprend de son beau modèle, qu’il représente fleur au corsage, narines frémissantes, cheveux en mouvement, comme ceux d’une ardente chasseresse[2] ; et le modèle reçoit le coup de foudre du robuste sous-officier devenu pétrisseur de glaise. Elle rompt elle-même son mariage avec M. de Préaulx, la veille du contrat[3]. Elle bouscule tout, exige, impose « son sculpteur. » George Sand, affolée, cherche à se reconnaître, veut gagner un peu de temps, pousser plus loin une enquête sur un homme dont quelqu’un vient de lui dire « pis que pendre. » Mais Solange est pressée. El le sculpteur, se souvenant qu’il a été cuirassier, brusque les choses par un procédé militaire. Il enlève Solange. Ce point a été ignoré. Si nous le révélons, c’est qu’il explique tout le reste.

George Sand n’avait plus qu’à sauver les apparences, et elle le fit avec son dévouement accoutumé. Elle marie au plus vite. C’est elle, maintenant, qui est pressée. L’enlèvement, par bonheur, ne s’est pas ébruité. Chopin lui-même, Chopin surtout l’a ignoré. Et ceci, encore, va expliquer certaines assertions bizarres de Chopin à sa famille… Mais suivons notre fil. George Sand prend, par diplomatie maternelle, une attitude satisfaite. Elle est heureuse, comment donc ! Elle écrit à Mme Marliani, le 6 mai, une

  1. Le Faune enfant avait été exposé, de même que la Mélancolie, au Salon de 1846.
  2. Cette belle œuvre appartient aujourd’hui à M. Ch. Delagrave.
  3. Chopin, lettre précitée commencée la semaine sainte et terminée le 19 avril : « Quand ils sont tous arrivés à Paris pour faire le contrat, elle n’en a plus voulu. »