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démêler. Il y a la question Clésinger, la question Chopin, et aussi des questions de finances et d’intérêts. Isoler chacune de ces questions, l’éclairer rapidement, sera d’abord notre tâche. Ceci fait, l’histoire des rapports de la mère et de la fille s’éclairera d’elle-même, et n’offrira plus aucune obscurité. Autant que possible, ici comme plus haut, nous laisserons parler les textes, et nous produirons, sur les personnages mis en cause, leurs propres témoignages inédits.


VI

Comment le sculpteur Clésinger entra-t-il en rapports avec George Sand ? Rien de plus honorable pour tous deux que le début de cette histoire. Ce même Clésinger qui, beaucoup plus tard, devait sa répandre en propos fâcheux sur son ancienne bienfaitrice, fut d’abord porté vers George Sand par un élan d’enthousiasme, auquel George Sand répondit par un mouvement de générosité.

Un matin de mars 1846, George Sand recevait une lettre singulière, baroque, mais touchante de sincérité, signée d’un nom encore inconnu :


Madame,

Persuadé que la reconnaissance est la première des vertus, je prends la liberté de vous écrire, vous criant merci, merci !…

Sans doute que l’auteur de Consuelo, cette âme et ce cœur tout artiste, visitera l’exposition de sculpture. Alors, Madame, jetez un regard sur une statue de la Mélancolie, couronnée de myrthe, tenant un manuscrit dans la main gauche, et soutenant sa tête fatiguée de la droite. Cette statue est le résultat d’une ferme volonté et d’un ardent désir. Si vous y trouvez l’ombre de l’austère mélancolie de Lélia, soyez heureuse, Madame, car c’est votre œuvre.

Il me serait bien pénible de revenir sur le passé et de vous conter comment un fourrier du 1er de cuirassier (sic) en 1839 est l’auteur de cette statue. Seulement, Madame, permettez-lui d’espérer que vous en accepterez la dédicace, et que vous consentirez à ce qu’il grave sur le marbre éternelle le titre touchant de Consuelo. C’est le seul bien que j’envie, la seule récompense, la réalisation de mon rêve. Bien heureux si le bonheur que vous aurez procuré peut vous donner un instant d’indicible joie et d’orgueil.

Agréez, etc.[1].

A. CLESINGER.

Lundi soir, 16 mars 1846.

  1. Cette lettre, communiquée pur nous à M. Jules Claretie, a paru dans le Temps du 1er juillet 1904. Nous en avons respecté l’orthographe.