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intéressé à ne pas médire de son métier ou de son rôle, écoutons maintenant un poète, un romancier, un dramaturge, qui, dans ce dernier domaine surtout, s’est fait une place singulièrement enviable. « J’ai dessein, écrivait il y a quelques années M. Jules Lemaître, j’ai dessein de reprendre et de poursuivre cette série des Contemporains, interrompue pendant cinq ou six ans par des besognes à la fois plus ambitieuses et au fond plus frivoles. Car c’est sans doute encore la forme de la critique qui, à propos des personnes originales de notre temps ou des autres siècles, permet le mieux d’exprimer ce qu’on croit avoir, touchant les objets les plus intéressans et même les plus grands, d’idées générales et de sentimens significatifs. » Si parfois la critique a été l’objet d’injustes dédains, la voilà maintenant bien vengée.

Ainsi donc, mêlée et confondue longtemps avec tout ce qui n’était pas elle, la critique peu à peu, et non sans peine, s’était constituée comme un genre déterminé. Mais, il y a cinquante ou soixante ans, on la tenait encore pour un genre « inférieur ; » elle était, aux yeux des critiques eux-mêmes, l’apanage des « petits esprits, » des écrivains « chétifs », des imaginations indigentes et stériles. Quelques années se passent, et tout est changé. La critique passe désormais pour un genre qui, dans l’estime des lettrés et du public, est l’égal des plus grands. De vigoureux, de nobles esprits le cultivent sans infidélité et sans défaillance. Des romanciers, des poètes, des auteurs dramatiques, qui ont le choix entre des formes diverses de leur pensée, ne cachent pas pour la forme de la critique leur vive sympathie, quelquefois même, on l’a vu, leur préférence. Le changement d’attitude est complet ; et il est aussi général qu’il est significatif.

Le principal, sinon l’unique artisan, de cette transformation, c’est Sainte-Beuve.


III

Il avait débuté au Globe en 1824, à vingt ans, par de modestes comptes rendus où il y avait plus de conscience que d’originalité et de talent. La critique alors, — il en fut, on le sait, pour lui longtemps ainsi, — est fort loin de remplir, tout son idéal de vie littéraire. Elle est surtout, à ses yeux, un moyen de gagner quelque argent, d’échapper à l’obsession d’un métier pour lequel il ne se sent point fait, celui de médecin, et une