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l’on trouve que nous avons un esprit rétrograde et réactionnaire, nous répondrons que M. Rouvier était hier de notre avis, et que M. Combes l’était avant-hier. On voit donc qu’à supposer que nous retardions, ce n’est pas de beaucoup.

M. Rouvier ayant enfin obtenu, plus heureux en cela que son prédécesseur, la signature de M. le Président de la République, celle de son collègue des Cultes, celle de son collègue des Affaires étrangères, pour un projet de séparation de l’Église et de l’État, a déposé ce projet sur le bureau de la Chambre. Il a tenu à en faire le dépôt vingt-quatre heures avant l’ouverture de l’interpellation de M. Morlot sur sa politique religieuse, afin de manifester par là qu’il était devenu un partisan sincère, et même impatient de la réforme. On peut trouver à tout âge son chemin de Damas ; mais dans celui de M. Rouvier il y a des ornières profondes ; on l’a bien vu pour l’impôt sur le revenu, qui y a disparu. Oublions ce précédent : peut-être le nouveau projet sera-t-il plus heureux. Il est moins mauvais que celui de M. Combes ; mais il n’est pas meilleur, et sur plusieurs points, il est moins bon que ne l’était, à l’origine, celui de M, Aristide Briand. Le projet de M. Briand accordait par exemple, aux associations qui s’organiseraient pour l’exercice du culte, le droit de s’unir entre elles jusqu’à former dans la France entière une association unique, qui aurait les droits des associations de droit commun. M. Combes avait pris le contre-pied de cette disposition ; il était allé à l’extrémité opposée, enfermant chaque association dans les limites d’un seul département et interdisant toute union entre elles. C’était condamner les départemens pauvres à la disette et à l’abstinence, tandis que, tout à côté, un département riche aurait été dans l’abondance. C’était en outre méconnaître le caractère propre de la religion catholique qui tend à l’unité. Toutefois, s’il n’y avait eu que la religion catholique, ses plaintes n’auraient peut-être pas été entendues ; mais celles des protestans et des Israélites ont été très vives et très pressantes. Les protestans en particulier ont déclaré que leur Église ne pourrait pas vivre dans les conditions du projet Combes, et ils ont réclamé pour les autres comme pour eux, au nom de la liberté. Le projet de M. Rouvier est un compromis entre les deux premiers. Il permet aux associations formées en vue de l’exercice d’un culte de se grouper dans le cadre de dix départemens, et il reconnaît la capacité civile à cette union d’associations. Il va même plus loin, mais cette fois avec une timidité excessive ; il autorise l’union des associations sur toute la surface du territoire ; seulement il refuse la capacité civile à l’association qui les englobera toutes.