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Mais s’il y a un point du programme qui semble avoir reçu des faits une consécration éclatante, c’est celui que j’ai énoncé en premier lieu. Il serait vain de rappeler l’insistance avec laquelle Montalembert a démontré aux catholiques qu’ils ne devaient plus chercher leur sûreté que dans la sûreté de tous, qu’ils devaient se réclamer du seul droit commun, et se placer sur le terrain de la liberté générale. Jusque dans les derniers jours de sa vie, il a fait entendre à ce sujet de solennels avertissemens, et l’on pouvait se demander s’il serait écouté, quand on se souvient des contradictions qui l’accueillirent jusqu’à la fin, en dépit d’expériences chaque jour plus décisives. Eh bien ! dans un document public, considérable, qui date de 1902, dans la pétition adressée aux sénateurs et aux députés en faveur de la demande d’autorisation faite par les Congrégations, ce n’est pas dix, vingt évêques qui signent ce programme, c’est l’Épiscopat français tout entier ; et on peut le voir déclarer d’une voix unanime qu’il faut se placer « sur le terrain de la tolérance mutuelle, de la liberté égale pour tous. » Le document dont je parle affirme que c’est là plus que jamais « le seul terrain où tant d’esprits divisés peuvent s’unir et reconstituer l’unité morale du pays. » Il proclame, « conformément à la doctrine traditionnelle du Saint-Siège, que l’Église ne proscrit, en principe, aucun régime politique. » Il reconnaît que les populations appréhendent l’ingérence de l’Église dans les affaires politiques, mais il estime que la nation en masse veut le maintien de la religion, et il fait appel à la France libérale tout entière, sans distinction de parti ou de croyance, pour sauvegarder les libertés fondamentales. Certes, Montalembert ne pouvait s’attendre à une justification plus éclatante, et il serait étrange que, à l’occasion d’un fait de cette importance, son souvenir ne fût pas rappelé.

Mais il semble qu’il convienne à bien d’autres égards de ramener l’attention sur lui. Pour chaque époque, il y a des exemples qu’il est opportun d’offrir aux méditations des contemporains. Aucun enseignement ne saurait être plus propre à faire ressortir les qualités ou les vertus qui leur manquent, les défaillances dont ils doivent se garder. En un temps où la conscience, le sentiment de la justice et du droit se trouvent atteints, où la notion de l’idéal disparaît, en un temps qui n’admet l’effort que pour satisfaire la passion de jouissance et d’argent, ce n’est pas sans profit que les regards se tourneraient vers cette grande