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La seule question, ici, est de savoir quel est le sentiment des Alsaciens pour nous : car l’amour ou la haine ont, en telle matière, une bien autre importance que la communauté de race, et, surtout, qu’une communauté tombée en désuétude. Les Alsaciens ont appartenu pendant deux cents ans à la France ; et s’ils nous disent aujourd’hui, en fin de compte : « Laissez-nous tranquilles avec votre Erwin de Steinbach ! Les Français, dont nous avons partagé la vie depuis six générations, nous plaisent mieux que les Allemands ! » s’ils nous disent cela, en fin de compte, je ne vois guère ce que nous pouvons y répondre. Et que si, après cela, dans certains cas particuliers, à ce sentiment général se mêlent de vilains calculs particuliers, je suis tout prêt à m’en indigner : mais ce seul fait que les Alsaciens aiment mieux être Français qu’Allemands, de ce fait-là nous n’avons pas le droit de nous fâcher contre eux ! Déplorons-le, travaillons à le modifier ; mais gardons-nous bien de nous en fâcher !


Même franchise, même bon sens, dans les jugemens littéraires de Théodore Fontane. Ce chef de la jeune école « naturaliste » n’est, proprement, d’aucune école ; et je ne puis assez dire combien le spectacle est beau de le voir, à soixante-dix ans, mener de front son culte passionné de Walter Scott et de Dickens avec une ardente curiosité des nouveaux principes et des talens nouveaux. C’est lui qui, le premier, et dès le premier jour, a deviné la valeur de M. Gérard Hauptmann. « Un certain Hauptmann, écrit-il, en 1889, a produit une pièce extraordinaire, Avant le lever du soleil, drame social en cinq actes. J’en ai été tout remué ; et ma femme, naturellement, de s’inquiéter de nouveau, disant que je vais trop loin, que je suis un intransigeant, un cerveau brûlé, un bousingot. Mais le fait est que ce Hauptmann est vraiment un Ibsen sans phrases, ou plutôt qu’il est, en réalité, ce qu’Ibsen désire, mais ne peut pas être, parce qu’à côté de ses tendances réalistes, il en conserve d’autres qui le portent fatalement au romantisme et non pas seulement dans l’expression, mais dans la pensée et le sentiment. De tout cela Hauptmann est entièrement libre : il nous donne la vie telle qu’elle est, dans toute sa noirceur ; et, de plus (et c’est là avant tout ce que j’admire chez lui), il apporte à cette peinture, en apparence toute copiée de la vie, la plus grande quantité d’art qu’on y puisse apporter. » Sur les poèmes dramatiques de Wagner, au moment où tous les lettrés s’accordent à en rire, Fontane a des réflexions d’une justesse et d’une pénétration étonnantes. Il en loue l’idée et la langue ; il y reconnaît des chefs-d’œuvre de littérature musicale. « Rien de plus absurde, dit-il, que le reproche qu’on fait aux personnages de Wagner de n’être pas des hommes : ce sont mieux que des hommes, les profondes passions humaines se