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un amusant tableau de l’intérieur d’un atelier, ne nous ait pour un temps engagé sur une fausse piste. Nous pouvons croire que son intention est de faire une peinture de la vie d’artiste ; et le titre même qu’il donne à sa pièce : la Massière, est pour accuser cette impression. Or Marèze pourrait être, presque aussi bien, un littérateur qu’un peintre ; il pourrait être un commerçant s’intéressant à une employée d’élite ; il pourrait même être un rentier tuteur d’une pupille qu’il protégerait d’un peu trop près. La pièce oscillera ainsi, dans toute sa première partie, entre la peinture du monde des artistes, et l’étude d’un cas de conscience très humain et tout à fait indépendant de l’entourage social. Au début de l’acte suivant, nous apprenons que Marèze se présente à l’Institut, et M. Jules Lemaitre nous initie, avec une malice renseignée, aux compétitions académiques, aux manèges des candidats et au double jeu de leurs futurs confrères. Tout cela est amusant, mais d’ailleurs fait hors-d’œuvre. Et tout à l’heure, quand le drame intime sera vraiment engagé, tous les rappels de la vie d’artiste nous paraîtront si inutiles ! Ainsi la visite que trois petites perruches de l’atelier font au maître pour admirer, avant le public, le tableau qu’il envoie au Salon ; ainsi l’invasion finale de ces demoiselles de l’atelier venant, au grand complet, féliciter Marèze pour son élection à l’Institut. C’est la bordure qui parfois empiète sur le sujet.

Cependant Mme Marèze, que certains indices ont alarmée, s’inquiète de voir s’installer chez son mari un sentiment dont elle comprend mieux que lui la véritable nature. Elle s’efforce d’éclairer sa conscience, de le mettre en garde contre lui-même, d’éloigner la jeune fille. Désormais commence, entre ce mari et cette femme, un drame, en partie muet, qui est l’essentiel même de la pièce. On a beaucoup critiqué ce rôle de Mme Marèze ; on a déclaré qu’il était ennuyeux et mal venu. Je serais volontiers de l’avis opposé, et je crois bien que c’est ici la plus heureuse trouvaille de l’auteur. Certes le rôle est difficile ; c’est, comme on dit, un rôle ingrat : le personnage qui est chargé d’être le représentant de la morale, de parler sans cesse le langage du bon sens, de la saine raison, de la sagesse et du devoir, n’est pas celui pour qui se montent les imaginations. Mais notez que toute la psychologie du bonhomme Marèze ne s’éclaire pour nous que grâce à l’intervention de Mme Marèze. C’est aux inquiétudes de celle-ci que nous mesurons le progrès du danger que recherche Marèze. C’est elle qui, avec une perspicacité née de sa propre tendresse, devine et nous révèle les moindres émotions d’une âme où une longue intimité lui a appris à lire. Le personnage de Marèze fait