Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/920

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’enorgueillissaient de le conduire ; les maisons se paraient, tendaient leurs murailles, comme pour le passage d’une Fête-Dieu ; les municipalités le saluaient ; les églises évangéliques s’ouvraient parfois à ses prêches, et du haut des balcons de Francfort, on jetait une avalanche de fleurs sur la voiture du jeune antipape, comme on eût pu faire, jadis, au couronnement des empereurs. Tout ce qu’il y avait, dans les Églises officielles, de mécontens et de déclassés, se dévouait au nouveau Luther : il avait un allié dans le doyen catholique Kuenzer, de Constance, des alliés, aussi, dans ces pasteurs « amis de la lumière » qui, à Kœnigsberg, Halle, Darmstadt, créaient des « églises protestantes libres. » Mais le vieux Wessenberg, dans sa retraite, éconduisit les avances de Ronge : ce lointain descendant des Pères de Constance et de Bâle était trop soucieux de l’avenir du christianisme pour se compromettre en cette aventure.

Et déjà, en effet, dès le mois de mars 1845, les trente délégués des communautés existantes, réunis en concile à Leipzig, évinçaient le Credo de Czerski, formellement attaché à la divinité du Christ, et acceptaient le Credo, beaucoup plus vague, de Ronge. La théologie, forcément, demeurait sans écho, dans un concile dont les membres les plus actifs étaient des laïques passablement incompétens, gens de métier, commerçans, politiciens en herbe, surpris eux-mêmes d’avoir à élaborer des articles de foi, et beaucoup plus sensibles aux aspirations du radicalisme philosophique qu’aux exigences, même atténuées, d’une tradition théologique. Czerski et Ronge remorquaient à leur suite des élémens assez divers : derrière Czerski et ce que l’on appelait le symbole de Schneidemühl, se rangeaient des croyans de la veille, qu’il avait entraînés hors de la grande Église ; Ronge, au contraire, faisait s’engouffrer dans sa petite Église une multitude d’incroyans, et ceux-ci devenaient les maîtres. Ni Ronge ni Czerski, d’ailleurs, n’étaient des théologiens ; et ce fut un jour de joie dans l’Eglise « catholique-allemande, » que celui où le prêtre Antoine Theiner, disgracié de longue date par l’évêché de Breslau pour ses écrits contre le célibat et la liturgie, mit sa science au service de l’Église nouvelle. La joie dura peu : Theiner et Ronge se séparèrent pour des motifs d’amour-propre. Czerski et Ronge, brouillés en 1845, se réconcilièrent en janvier 1846 : Czerski sacrifiait le Christ. Six mois après, il regretta le sacrifice, lit amende honorable au Christ, et se brouilla