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plupart des savans catholiques de l’Allemagne. Les courtes années, qui parurent longues aux peuples, durant lesquelles le despotisme des bureaucraties acheva de se rendre insupportable, durent paraître longues, aussi, à Benjamin Herder : il lui fallait, pour gagner à son entreprise les savans autrichiens, négocier avec la censure viennoise, duègne subtile et stupide, sans l’agrément de laquelle aucun sujet de Sa Majesté Apostolique ne pouvait expédier à Fribourg une ligne de manuscrit. Herder fit comme les peuples : il patienta jusqu’en 1848, avec la certitude confiante que l’Allemagne catholique ferait tôt ou tard figure littéraire, sous son entreprenant parrainage.

Ainsi fermentaient, dans la petite ville de Fribourg, les germes d’une littérature catholique : Buss, qui la voulait féconde, réclamait, avec son exubérante ambition, que l’université de cette ville devînt exclusivement catholique ; alors se multiplieraient, à proximité d’Herder, les plumes de bonne volonté. Mais à quoi bon des écrivains et des proies, si les lecteurs chôment ? C’est ce que comprenait, en un autre coin de la vallée rhénane, Auguste Reichensperger. Avec son ami Thimus, le baron de Loe, le canoniste Walter, le théologien Dieringer, il entreprit, dès 1844, d’organiser en une Association de Saint-Charles Borromée les amateurs de livres catholiques. Par ses envois de volumes, par les publications dont elle prenait l’initiative, par les bibliothèques qu’elle aidait à fonder, par les catalogues qu’elle expédiait, cette association se faisait comme l’institutrice de l’opinion catholique, au même temps qu’elle l’encadrait ; elle connaissait ses membres, les cataloguait dans ses bureaux de Bonn, avait prise sur eux, et, avec eux, formait un « public. »

Peu d’années devaient suffire pour qu’à l’abri de cette association, garante d’une clientèle docile et zélée, se pût développer, avec quelque sécurité pécuniaire, le journalisme catholique rhénan. De leurs dernières gouttes d’encre, les bureaucraties pouvaient prohiber la naissance d’une presse catholique : en Hesse, en 1846, la permission de fonder un journal était refusée au chanoine Lennig. Mais l’opinion catholique s’apprêtait à ne point être prise au dépourvu par les prochaines libertés ; et l’on eût pu, d’avance, commencer de dresser les listes d’abonnement aux journaux catholiques, avant que ces journaux n’eussent reçu licence de paraître.