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Rhénans, publiée en 1840, un opuscule sur l’architecture chrétienne germanique, qui parut en 1845, inauguraient cette apologétique du style médiéval, à laquelle Reichensperger consacrera sa vie. L’art gothique, à ses yeux, était comme le produit de la Rédemption, dans le domaine esthétique : le nier, c’était nier le christianisme, c’était se refuser à « comprendre la langue dont les racines et le dictionnaire vivent en notre âme. » Jusqu’au terme de sa longue et verte vieillesse, Reichensperger développa des théories enthousiastes sur le caractère organique des édifices gothiques, sur l’harmonieuse et vivante unité que présentent ces synthèses de pierre. Les monumens du « paganisme ressuscité, » — ainsi qualifiait-il la Renaissance, — lui faisaient l’effet de ces petits roitelets sauvages, gauchement attifés à l’européenne, que rencontrait en ses voyages le capitaine Cook. Saint-Pierre de Rome, même, ne trouvait pas grâce devant lui, et j’ai souvenir d’une conversation de l’année 1894, dans laquelle, me parlant avec tristesse de la basilique de Montmartre, cette « mosquée, » il m’expliquait, avec sa merveilleuse fougue d’octogénaire, que la cathédrale de Cologne était « du saint Thomas d’Aquin pétrifié. » Au déclin de toutes vies, même les plus croyantes, il y a généralement un peu de cendres dans les âmes, débris d’enthousiasmes consumés, qui pèsent sur le cœur et l’ennuagent. Reichensperger, lui, me semblait avoir échappé à cette loi, tant il y avait de jeunesse en cette grande et forte vieillesse. Tel je le vis peu de mois avant sa mort, fraternisant de tout son être avec ces voix priantes qu’il sentait frémir en chacune des colonnes de son dôme, tel il avait dû être en cette année 1842, où les Mages furent visités dans leur dernière demeure par Frédéric-Guillaume IV, leur collègue en majesté.

Les Boisserée, durant leur long apostolat, avaient cherché pour l’art gothique les suffrages de l’intelligence allemande ; Reichensperger, lui, cherchait et trouvait les suffrages du peuple. « Qu’ont fait les universités et académies allemandes, demandait-il, pour la construction du dôme, ce canon de l’architecture allemande médiévale ? Elles ont eu trop à faire avec l’œuf d’Hésiode, les momies égyptiennes, les vases étrusques, et les pierres des légions romaines, pour penser aux cathédrales gothiques. » Ainsi disait-il, tournant le dos à l’Allemagne humaniste pour se jeter avec confiance vers l’Allemagne populaire ; il parlera de même, cinquante ans durant ; et, en 1891, M. Paulsen,