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aujourd’hui une confirmation inattendue sous la plume d’un chef de parti célèbre, déclarant « qu’il n’y a plus d’idées communes qui rapprochent les hommes, qu’il n’y a plus d’unité humaine[1]. » Mais si Montalembert se sentait appuyé, soutenu au sein de cette société, il n’y était pas absorbé, encore moins annihilé ; il n’y cherchait pas un moyen de se dispenser de l’effort, de penser par lui-même, de se dérober à la responsabilité de ses actes. Sa personnalité, — on a bien pu s’en apercevoir, — est demeurée active et entière. Il n’en avait que plus de vitalité, démontrant bien par son exemple que, « si la foi est un don de Dieu, elle est aussi an effet du raisonnement, que c’est, le consentement de nous-mêmes à nous-mêmes, que c’est la voix constante de notre raison et non des autres, qui nous fait croire. » La religion de l’esprit n’était pas séparée en lui de la religion de l’autorité ; il n’opposait pas la liberté à la tradition, à la règle ; il pensait de l’autorité ce que Pascal dit de la raison ; il pensait que deux excès sont à éviter, — exclure l’autorité, n’admettre que l’autorité, — la religion véritable devant nécessairement participer à la fois de la liberté et de l’autorité.

Le lecteur ne regrettera pas d’avoir pénétré un peu avant dans l’âme de ce croyant et d’avoir recherché les mobiles de sa foi. Il reste à dire en quelques mots l’influence exercée par cette foi si vive, et ce qui subsiste de son action.


VII

À en croire certains jugemens, — et je ne parle pas des plus passionnés, — il y aurait eu chez Montalembert une disproportion entre la vigueur de son talent et la mesure de son action. « Il se serait agité et n’aurait pas agi. » Romantique du catholicisme, il se serait consumé de son propre feu dans la solitude indépendante de ses opinions. Il n’aurait pas su faire de sa parole un guide pour ses contemporains. Esprit brillant, il se serait laissé prendre aux préjugés de la chimère rétrospective et de l’absolu, échappant aux difficultés pratiques et se jetant hors de la réalité.

Il suffit d’envisager la période active de la vie de Montalembert pour reconnaître ce qu’il y a d’injuste, de faux dans cette

  1. M. Jaurès.