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Et voici, dans le soir, monter les voix des chiennes
Qui vont pleurer leurs chiens d’un long ululement !
Malheureux ! que déjà n’habité-je vraiment,
Vaine ombre, sur les bords des ondes Stygiennes !

Et là-bas, à cette heure, au pied du Palatin,
Dans le bourdonnement de ruche que fait Rome,
Ta maison, ignorante et sereine, pauvre homme,
Chauffe sa tuile rose au tiède soir latin !

— Mais de quel droit gémir ainsi ? N’est-il pas juste
Que tu trembles de froid, exilé sans retour,
Toi que le sort élut pour te montrer un jour
Ce qu’on ne doit pas voir dans la maison d’Auguste ?

Ah ! ce jour-là, pourquoi, brusquement aveuglé,
N’ai-je pas dans le noir trébuché sur les dalles ?
Pourquoi n’ont-elles pas croulé sous mes sandales ?
Pourquoi mes doigts distraits ont-ils tourné la clé ?

O souvenirs ! alors je riais à la vie,
Je chantais les Amours, chanteur fier, tendre amant,
Convive impérial traité bienveillamment
Par toi, pieux Auguste, et toi, chaste Livie !

Oui, la Ville enseignait mon nom à l’Univers,
La Muse à ses lauriers mêlait pour moi des roses,
Et même, ayant surpris l’art des Métamorphoses,
Tout ce que j’essayais de dire était un vers !

Et tout a fui ! — Mes yeux, quels pleurs seraient les vôtres,
Si vous vouliez pleurer mes torts que rien n’absout,
L’irréparable tort d’avoir vu, mais surtout
D’avoir été celui qui vit, parmi tant d’autres !

— O César, si ton long courroux pardonne un peu
Le crime involontaire où se perdit ma gloire,
Héros sage au combat, sage dans la victoire,
Que l’amour des Romains élève au rang d’un Dieu,