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l’air rose. Le souple mouvement des hanches que les femmes vêtues de broderies ont en marchant faisait courir des lueurs de mosaïques sous le clair-obscur des vergers. Çà et là, une vieille maison roumaine massive, carrée, grande muraille blanche percée d’une petite porte, sa galerie appuyée sur de hauts piliers de pierre, semblait encore surveiller à l’horizon les invasions des Turcs. Et les images des saints, peintes aux murs d’une église, apparaissaient soudainement dans les cimes vertes des arbres, comme si leur cortège enluminé voyageait entre ciel et terre. Nous avions visité le monastère de Horez, devenu un asile de vieillards, où des nonnes qui n’ont plus d’âge écossaient des haricots et faisaient sécher des oignons autour de leur chapelle et dans une forêt d’arbres centenaires. Enfin, après avoir traversé la ville épiscopale de Romnik, toute scintillante de ferblanteries et de chaudronneries, nous étions arrivés aux gorges de l’Olt, où l’on vous montre encore le rocher sur lequel l’empereur Trajan, fort incommodément, se fit servir à déjeuner. Nous étions là, à Callimanesti, et nous allions imiter l’empereur Trajan, mais avec un sentiment du confortable dont ce grand homme était dépourvu, lorsque le premier député socialiste de la Roumanie descendit de voiture, le Temps à la main. Il s’avança vers nous. La propriété est comme le César de Shakspeare : elle ne se défie que des socialistes maigres. Et les champs, les vergers, les jardins, les villas des propriétaires, les scieries et les hôtels des capitalistes, toute la nature civilisée lui prodiguait ses sourires et se reflétait en son aimable rondeur.

Nous déjeunâmes sous les tilleuls, non loin des gorges sinueuses que les flots de l’Olt emplissent de leurs bouillonnemens jaunes. Les campagnards qui tenaient ce restaurant d’été avaient, si je ne me trompe, leur fille institutrice dans une des premières écoles et leur fils officier ; et ce nous fut un prétexte de parler des paysans.

— Je suis socialiste, me dit notre député, et même en 1895 le parti socialiste, composé de jeunes gens d’anciennes familles libérales, gagnait du terrain à Galatz, à Iassi, à Ploiesti, à Bucarest ; mais, reconnaissant loyalement que le socialisme était encore prématuré en Roumanie, nous nous sommes fondus dans le parti libéral, dont nous formons l’avant-garde. Nous marchons en ce moment à la conquête du suffrage universel, et notre ambition est d’organiser la Roumanie en démocratie ru-