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n’avait pas encore assagis, défrayèrent et, en quelque sorte, dramatisèrent les vingt premières années de leur indépendance. L’étranger ne saurait juger entre conservateurs et libéraux ; mais il a cette impression que, contrairement à certains grands pays, comme la France, où la représentation nationale est inférieure au niveau de la nation, en Roumanie elle lui est très supérieure, j’oserais dire qu’elle lui est trop supérieure. Des hommes d’État, autrefois les Bratiano et les Lascar Catasgi, aujourd’hui les Carp et les Také Ionesco, par la nature même de leur talent, sont amenés, pour remplir leur mesure, à se créer des complications et des conflits qui n’ont ni cause ni objet dans la réalité.

— On nous reproche, me disait plaisamment un Roumain, de ne point posséder d’industrie nationale. Erreur ! Nous fabriquons des politiciens, de quoi fournir l’Europe !… Comprenez-vous que dans un pays où tout le monde s’entend sur la politique extérieure, le système de l’impôt, et le régime administratif, les partis passent leur temps à s’entre-déchirer ! » Et je lui répondais : « Je comprends que dans un pays qui, depuis soixante ans, ne vit que par des hommes politiques et qui n’a dû son salut qu’à ses hommes politiques, la fièvre de la politique ne soit pas facile à calmer. Vos berceaux vagissent de l’ambition des petits Bratianos futurs ; et je ne m’étonne pas que la société roumaine soit presque uniquement composée de politiciens. Mais, entre votre oligarchie tumultueuse et vos paysans qui me paraissent bien silencieux, je vois une bourgeoisie naissante où s’agrègent chaque jour des hommes probes, laborieux, instruits, modestes, excellens. Récemment, ils ont montré ce qu’ils valaient, quand, du soir au lendemain, le ministère libéral a réduit de vingt à trente pour cent les traitemens des fonctionnaires. Ils n’avaient point, comme vous dites, d’argent blanc pour les jours noirs. Ils durent changer d’existence, plusieurs même de fonctions. L’intérêt de la patrie l’exigeait. Ils n’ont pas murmuré et reprirent leur tâche avec la même conscience et le même dévouement. — C’est vrai, fit-il, mais que deviennent nos fonctionnaires congédiés ? Le savez-vous ? — Ils organisent des bals dont les invitations portent gravées deux mains fraternellement unies. On ne saurait rêver de protestation plus pacifique. — Oui, s’écria-t-il, et, les chandelles du bal éteintes, ils vont grossir les clientèles de nos futurs ministres