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Enfin, parmi les religions qui existent, le christianisme seul, et c’était une des considérations qui l’impressionnaient le plus, lui semblait réellement capable de faire l’éducation de l’âme, de mettre en valeur ses ressources, d’assurer son triomphe sur les forces inférieures et animales, de tourner, en un mot, toutes ses facultés vers leur objet. Etant hors de conteste qu’il n’y a point d’éducation si l’on n’a pas d’idéal à proposer, Montalembert n’en voyait point de véritable en dehors du vieil idéal chrétien. Bien des efforts avaient été sans succès tentés sous ses yeux pour en découvrir un qui ne s’inspirât point de l’Évangile. Tour à tour, il avait vu proposer à l’âme humaine, comme idéal, l’action, l’humanité, la patrie, l’honneur, la science, sans qu’aucun de ces objets la pût satisfaire. L’action ? Elle n’est pas une fin par elle-même, elle implique un but : il faut savoir quel but. — La patrie et l’humanité ? Cela suppose des sacrifices à l’intérêt commun. Qu’est-ce qui détermine à faire ces sacrifices ? — L’honneur ? Combien il est insuffisant pour soutenir le combat de la vie ! Quelle frêle barrière, et combien vite emportée par les passions ! — La science ? Que peut-elle pour résoudre le problème de la destinée, pour expliquer l’univers, pour fournir un fondement à la vie morale, pour faire pratiquer la vertu ? Qu’a-t-elle ajouté, depuis des siècles, aux enseignemens du Sermon sur la Montagne ?

Montalembert sentait bien qu’avec l’idéal chrétien, il ne s’agissait plus d’un idéal vague, indéterminé, fuyant, d’une formule vide et creuse. Cet idéal s’incarnait à ses yeux, dans une personne, dans une doctrine, dans une société : le Christ, l’Evangile, l’Église. Que n’a-t-il vécu un peu plus longtemps ! Il aurait vu établi par des faits, par des aveux précieux et autorisés, ce qu’il avait si souvent affirmé : l’impossibilité de remplacer, dans l’éducation de l’enfance surtout, cet idéal chrétien. Il aurait entendu des rapports officiels, des rapports émanant des plus hautes autorités universitaires, signaler le déficit qui résulte dans notre budget moral de l’absence de cet idéal, le scepticisme de la vie engendré par le scepticisme des idées, la disparition de ce frein intérieur qui dispense de tout autre, nul souffle de l’esprit, partout des voix de sensualité, de haine. Dans quelques pages superbes des Moines d’Occident, Montalembert a décrit l’éducation de l’âme faite par le christianisme, l’action de la foi dans cette éducation, de la foi créatrice, seule source d’énergie