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canalisé aboutira au Danube. Rockefeller l’y eût mené, lui ! Nous redoutons un monopole américain que l’immensité de nos terrains et l’énormité fatale de nos prétentions rendraient irréalisable, et nous en créons un chez nous, terrible, le monopole du farniente. »

Les libéraux, qui se distinguent des conservateurs en ce qu’ils ont moins de libéralisme envers les étrangers, répondent : « Nous refusons de nous laisser englober dans le vaste accaparement d’un trust et d’aliéner au profit d’un roi de l’or une richesse nationale. Le pétrole est pour nous ce qu’est le diamant noir pour l’Angleterre. Le génie industriel qui nous manque aujourd’hui, notre patience saura peut-être l’acquérir et le transmettre à nos enfans. »

Cependant, le matériel des chemins de fer ne suffit pas ; les capitaux sont souvent trop faibles pour affronter des risques inévitables ; les raffineries, trop nombreuses et peu sûres. Mais la silencieuse Campina, où les collines meurent si doucement à l’horizon, n’en reste pas moins un des grands réservoirs de la fortune roumaine.

De son pétrole, j’ai passé au sel de Slanic. Il faut quitter la grande ligne de Bucarest et remonter en arrière dans les bois et les collines. De jolies forêts, un lit de rivière desséché, des maisonnettes aux toits rouges, puis l’air salubre des hauteurs, et Slanic, la petite reine du sel, avec ses musiques de tziganes, ses hôtels de baigneurs, son scintillement de gaîté, son éparpillement de lumière. Les ruisseaux pétillent de sel, les herbes en brillent, les wagonnets en brasillent, les lèvres même des belles filles en avivent leur fraîcheur. Une mine de sel : n’imaginez-vous pas à ces mots un palais de neige et de grésil ? Lorsque, à trois cents pieds sous terre, le monte-charge, où nous sommes installés, atteint la hauteur de la galerie, j’aperçois tout en bas de petits hommes blancs qui se remuent sur un sol gris et crayeux, au milieu de blocs grisâtres ou blafards. Peu à peu, les hommes grandissent. On met le pied dans le sel. Ce n’est pas une mine : c’est une cathédrale. Les galeries, plus hautes que la voûte de Notre-Dame, ont cinquante mètres de large et s’étendent sur une longueur de deux cents mètres. Des festons de ténèbres tombent, à peine pâlis, au-dessus des becs électriques incapables d’en éclairer les profondeurs. Les murs sont comme striés de lignes noires et blanches qui ondulent, se recourbent,