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travers ce fouillis de magnificences s’arrêtait à chaque instant et me répétait avec une orgueilleuse satisfaction : « C’est du vieil allemand, Monsieur, c’est tout à fait comme cela chez nous ! » Bahuts anciens, hautes cheminées, lambris de chêne, gnomes sculptés au bas d’un escalier par un huchier de Munich, boiseries que baigne éternellement le clair-obscur des grands bois, salles de manoir où le jour ne pénètre qu’en se colorant des sombres lueurs de l’Allemagne féodale peinte sur les vitraux, et les tours, les tourelles, les pignons qui hérissent ce château, moins château que musée : c’est bien la plus belle arche sainte des souvenirs et des rêves allemands. Mais voici, porte à porte, sous ces toits romantiques, un boudoir Louis XV, une chambre turque où courent des arabesques d’or, une salle de fête mauresque qui éclate comme une explosion de rire lumineux, et, plus haut, dans les étages supérieurs, des chambres pour les dames d’honneur, pas plus grandes que des cabines de vaisseau et si anglaises qu’on se croirait sur un paquebot des Indes. Que de styles, bon Dieu ! tous, il est vrai, opprimés par celui de la renaissance germanique. J’y cherche vainement le style roumain. Sauf les sujets empruntés aux ballades nationales du poète Alexandri, dont il plut à la Reine d’illustrer sa chambre de musique, rien ne m’y rappelle que je suis sur la terre roumaine. L’immense parc qui enveloppe ce château d’un incomparable mystère et qui se déroule jusqu’au pied de la montagne ressemble aux parcs anglais ; et quand la princesse, une petite-fille de la reine Victoria, y passe au galop de son cheval, on ne saurait imaginer de décor plus harmonieux à sa beauté. Que la flûte s’échappe de vos doigts, bergers mélancoliques des Carpathes, et laissez chanter Tennyson ! Oserai-je dire que je sens ici trop de vie factice, trop d’exotisme, le souci trop évident d’un passé qui n’est pas celui de cette terre et d’une civilisation qui n’en est pas naturellement sortie ? Le commerce et l’industrie aux mains des étrangers, cette résidence d’un riche seigneur allemand qui aurait beaucoup voyagé, ces hôtels cosmopolites, ces quelques reliques d’autrefois effacées sous les enjolivures de leur rajeunissement, cette société aux trois quarts parisienne et, pour le dernier quart, de culture germanique, dont le seul usage roumain, persistant mais délicieux, consiste à vous offrir une cuillerée de confiture accompagnée d’un grand verre d’eau (encore est-ce un usage turc !), ce petit monde enfin, vu de