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d’exposition, miniature à demi officielle accrochée aux rocs des Carpathes. Première impression : aucun dépaysement, mais le sentiment que tout, sauf la nature et l’hospitalité, respire l’artifice ou l’extrême nouveauté. Cette image d’elle-même que la Roumanie nous offre sur les limites montagneuses de ses avant-postes me frappe par ce qu’elle a de peu roumain. Je n’ignore pas que je suis dans une station d’été ; mais cette station, d’où le chemin de fer en quatre heures descend à Bucarest, n’est pas uniquement réservée aux villégiatures. Les vents de l’hiver qui ferment les hôtels de Sinaia n’empêchent pas les fabriques d’Azuga de marcher et de produire. Les enfans de Busteni continueront de se rendre matin et soir à ce chalet luxueux qu’on a construit pour leur apprendre à lire, et leur instituteur les mènera chaque dimanche à cette église dont l’iconostase peint d’hier flamboie comme un paradis de Byzance. Dans le jardin de l’église, le petit Amour qui émerge de son bassin ne se sentira pas abandonné quand la neige lui montera jusqu’à la ceinture. Enfin le château royal n’est pas une simple résidence où la Cour vient se distraire des chaleurs de Bucarest : c’est le Versailles ou le Saint-Cloud de la royauté. Le roi Charles, « de cœur et d’âme avec son peuple le bâtit en temps de paix comme en temps de guerre il fit de son royaume. »

Or, j’ai parcouru les industries d’Azuga, fabriques de verre, de bière, de draps et de meubles : toutes étaient dirigées par des étrangers et n’avaient en général pour ouvriers que des Hongrois. La manufacture de papier qui gronde à Busteni appartient à un Saxon de la Transylvanie, et les maisons des ouvriers, lourdes et basses, accusent suffisamment le goût d’un architecte germain. En face, sur l’autre rive de la Prahova, un riche propriétaire roumain a installé un élevage de truites, mais il en a confié la gérance à un Autrichien de Salzbourg. Je suis entré dans l’église restaurée du monastère, et j’y ai rencontré un peintre danois qui, depuis plus de deux ans, est occupé à en peindre les fresques. J’ai vu passer des maraîchers et l’on m’a prévenu qu’ils était presque tous Serbes et Bulgares. L’hôtel de Busteni est tenu par un juif ; les plus beaux attelages qui sillonnent les routes sont conduits par des cochers russes.

Lorsque j’ai visité le château que le Roi édifia pour attester « qu’en ce beau pays sa dynastie librement élue avait enfoncé des racines profondes, » le majordome saxon qui me promenait à