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À TRAVERS LA ROUMANIE

I

AUTREFOIS ET AUJOURD’HUI


i. — l’entrée en roumanie : sinaia

On a le choix entre deux grands chemins pour pénétrer en Roumanie : on peut remonter la route des invasions par Orsova, les Portes de Fer et le Danube, ou escalader les Carpathes, et à travers les vallées et les forêts de la Transylvanie, déboucher dans la verdure de Prédéal. Vous dévorez tout un après-midi les immenses plaines hongroises où l’œil ne découvre guère que des ondulations majestueuses de troupeaux d’oies — de ma vie je n’ai vu les jars plus arrogans et plus seigneuriaux que dans ce pays-là ! — et, après une nuit fraîche, vous vous réveillez en pleine nature virgilienne. La petite locomotive halette : les branches des arbres fouettent les vitres du wagon. On s’étonne de ne pas entendre dans l’air matinal des flûtes de pâtres. Délicieux réveil ! Les ombres de la nuit ont emporté le féroce tintamarre de la langue magyare. Le latin, le vieux latin populaire des légions trajanes court nu-tête et nu-pieds sous les sapins et le long des ruisseaux. On arrive sur la hauteur de Prédéal, terre roumaine ; et le train s’en précipite avec une sorte d’allégresse dans la vallée de la Prahova. C’est par là qu’il faut entrer, par ces rocs, ces forêts, ces eaux vives, ces pentes herbeuses, par ces Carpathes qui furent si maternelles à la Roumanie, quand la vie de sa plaine dévastée refluait dans leur sein de calcaire et d’ombre.